Publié le 23/03/2017
Comment bloquer une paille dans un verre ? Cette question d’apparence banale devient centrale lorsqu’elle permet à une personne en situation de handicap de boire de façon autonome. Le centre de rééducation et réadaptation de Kerpape a mis en place un REHAB-LAB où, grâce à la magie de l’impression 3D, les patients fabriquent eux-mêmes les aides techniques qui leur facilitent la vie.
À proximité de Lorient, en bord de mer, le cadre est superbe. Mais le Centre mutualiste de rééducation et de réadaptation fonctionnelles de Kerpape impressionne d’abord par ses dimensions : une capacité d’accueil de 400 patients, un effectif de 650 personnes, des équipements répartis sur 30 hectares si bien que le personnel circule volontiers à vélo. Le centre est parmi les plus gros établissements du genre en France : il intègre une école primaire, un collège, une auto-école… Également, des appartements tremplins où expérimenter la vie en logement adapté dans un cadre sécurisé. Ces appartements, labellisés Living Lab Santé et Autonomie, sont aussi destinés à concevoir des équipements d’adaptation, à les tester et à former des artisans.
Autre originalité, le centre de Kerpape a perçu très tôt que les nouvelles technologies allaient jouer un rôle central dans l’adaptation au handicap. Au point que l’établissement s’est doté d’un laboratoire d’électronique dès 1981. Son rôle ? “D’abord un gros travail de veille“, résume Willy Allègre, l’un des deux ingénieurs dédiés au “labo”. Veille sur les nouveaux produits et logiciels, “au sens large”, car les innovations destinées au grand public peuvent parfois s’appliquer au domaine du handicap. L’ingénieur cite l’exemple des jeux vidéo dont les interfaces conçues “pour les gamers” peuvent être source d’inspiration pour “proposer des solutions”.
“Notre activité est orientée en direction du patient”, complète Jean-Paul Departe, l’autre ingénieur maison. “Nous travaillons conjointement avec l’ensemble de l’équipe médicale pour répondre aux besoins d’aides techniques qui intègrent l’électronique et l’informatique : aide au déplacement, aide à la communication, synthèse vocale, accès aux nouvelles technologies, domotique, etc. L’idée, c’est de redonner l’autonomie la plus grande possible à la personne en situation de handicap. Nous sommes également très attentifs à la problématique du coût, car les patients disposent d’enveloppes budgétaires limitées.”
À côté de ce travail au quotidien, le laboratoire d’électronique de Kerpape est engagé dans différentes activités collaboratives et projets de recherche. Mais c’est par le biais de la veille technologique qu’il s’intéresse un jour à l’impression 3D. Les deux ingénieurs se rendent compte que s’ouvre un champ de nouvelles possibilités : “On était comme des gamins devant l’imprimante. On avait des tas d’idées mais pas vraiment de ligne directrice. Et puis, fin 2015, toutes les briques se sont assemblées autour de l’idée de REHAB-LAB.”
De quoi s’agit-il ? D’un Fab Lab, donc un lieu d’échange et de partage autour de la fabrication numérique. Qui a cette particularité d’être d’abord destiné aux patients pour qu’ils développent leurs propres aides techniques. Les moyens à disposition : une imprimante 3D, un scanner 3d, des ordinateurs, des logiciels de conception choisis “pour la facilité d’utilisation”… Et aussi un animateur permanent, en ce moment Alexandre, élève ingénieur de Polytechnique Paris, chargé d’assister les apprentis makers dans la découverte et l’utilisation des outils. À quoi, il faut ajouter deux remarques. Que tout commence bien souvent par une étape préalable d’adaptation des équipements informatiques aux handicaps de la personne. Et que l’entourage médical, notamment les ergothérapeutes, est étroitement associé au projet développé.
En un peu plus d’un an – le REHAB-LAB est opérationnel depuis février 2016 –, une cinquantaine d’aides techniques ont été fabriquées de cette façon. Par les patients eux-mêmes ? “Bien sûr, car c’est ça l’objectif”, clament d’une même voix les deux ingénieurs. Puis Jean-Paul Departe précise : “Le patient est toujours acteur de son projet, à des degrés divers selon ses capacités. Pour faire simple, il existe deux cas. Celui où la personne réalise par elle-même l’aide technique qu’elle a imaginé. Et le cas où un patient amateur de technique va participer aux projets d’autres personnes.”
Les objets réalisés sont de toutes sortes : un support de verre, un manche adaptable pour faciliter la préhension, un bloqueur de paille pour boire… Tous précieux au quotidien. Pour les matériaux utilisés, les deux initiateurs bénéficient des conseils du plateau technique ComposiTIC, de l’Université Bretagne Sud, spécialiste des composites innovants. Par exemple, “un matériau biosourcé à base de coquilles d’huitres”. Ou encore “un composite thermochromique” qui change de couleur avec la chaleur et pourra signaler une température trop élevée à qui a perdu la sensibilité.
Pour l’entourage médical des patients, il s’agit d’une petite révolution. Soazic David est ergothérapeute : “Aujourd’hui, on peut créer des objets qu’on ne pouvait pas réaliser avant. Les aides techniques sont reproductibles, on peut pousser davantage la personnalisation, partager la connaissance. On se sent précurseurs, on découvre une autre façon de travailler. Pour les patients aussi, c’est une autre dimension. Grâce à l’informatique les personnes très dépendantes avaient déjà accès à internet et aux réseaux sociaux. Là, ils accèdent à l’objet lui-même, à la fabrication.”
Première expérience du genre en France, le REHAB-LAB de Kerpape interpelle par les nouvelles pratiques qu’il laisse envisager. Au point que Jean-Paul Departe et Willy Allègre sont sollicités par d’autres structures pour du conseil et du partage d’expérience. À leurs larges sourires on devine que ces multiples demandes sont vécues avec bonheur, comme le signe qu’ils ont eu la bonne intuition.
Un laboratoire ouvert à la recherche et aux entreprises
Le laboratoire d’électronique du Centre mutualiste de Kerpape participe régulièrement à des projets collaboratifs impliquant des laboratoires de recherche et des entreprises. À l’exemple des projets AGATHE et ROBO-K, tous deux labellisés Images & Réseaux.
En prise directe avec le monde médical et celui des nouvelles technologies, le laboratoire est ouvert à l’échange et à la rencontre avec les entreprises et startups sur des problématiques de santé et de rééducation.
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Le Centre de Kerpape est membre Images & Réseaux.