Publié le 04/07/2017
Où il était question de bruit des mandibules de crevettes et de cochons qui croquent les capteurs. Aussi bien que de drones, de cobots, de réalité virtuelle ou de big data… L’agriculture et l’agroalimentaire sont un mix étonnant de technicité métier et de technologies de pointe. À la croisée d’enjeux économiques, sociaux, environnementaux et de santé. Un terrain d’expérimentation grand ouvert au numérique, que la Technoférence #21 abordait sous l’angle de l’amélioration des performances.
“Moi qui suis du monde de l’électronique et des télécoms, j’ai été très impressionné par tout ce l’on découvre comme technologies dans les élevages.” Cette remarque entendue en introduction d’une intervention est symbolique à double titre. Elle montre l’appétence du secteur agri-agro pour les technologies de pointe. Et elle souligne la nécessité de créer davantage de ponts avec le numérique. Notamment pour imaginer ensemble les solutions de demain.
Le croisement des points de vue et des expériences entre filières agricole, agroalimentaire et numérique était précisément l’objectif de cette Technoférence du 19 juin. Depuis Quimper et relayée en visio à Angers, Brest, Lannion, Rennes et Saint-Brieuc, cette 21e édition était organisée conjointement par les pôles de compétitivité Images & Réseaux et Valorial. Avec également la participation du programme régional AGRETIC, qui vise à développer l’usage des technologies numériques dans les filières agricole et agroalimentaire bretonnes. Thème affiché de la journée de travail : “Comment améliorer la performance des usines IAA et des exploitations grâce au numérique ?”
Sophie Jézéquel donnait d’emblée le ton en décrivant un paysage agricole largement pénétré d’innovation numérique. La Vice-présidente de la Chambre d’agriculture de Bretagne est aussi exploitante “productrice de lait, de porcs et d’électricité”. Elle décrit une profession agricole dont l’intérêt pour les technologies est présent “depuis toujours”. Aujourd’hui en attente de solutions pour répondre au manque de main d’œuvre et à la contrainte des tâches répétitives. Les métiers agricoles doivent concilier une disponibilité “24 heures sur 24, et 365 jours sur 365” et des aspirations au temps libre et à la modernité : “Si on veut attirer les jeunes, il faut leur proposer autre chose qu’une brouette et une fourche.”
Sa vision à terme est celle d’une “ferme numérique” qui réponde à quatre grands enjeux : la productivité avec des solutions du type agriculture de précision ; la qualité de production avec notamment l’exigence de traçabilité par un “enregistrement continu des données” ; la qualité de vie des agriculteurs par l’automatisation et le monitoring à distance ; et enfin l’attractivité des métiers qu’il faut travailler en direction des entrepreneurs agricoles mais aussi des salariés.
Sophie Jézéquel donne quelques exemples d’équipements pour l’élevage : robots de traite mobile, robots de lavage, dispositifs d’alimentation et de médication de précision, capteurs et caméras pour surveiller l’ambiance et le cheptel. Puis elle cite des perspectives d’application pour les travaux des champs : des drones pour cartographier les parcelles et optimiser l’épandage d’engrais et produits phytosanitaires, des tracteurs autonomes capables de travailler la nuit…
L’intervention à suivre cherchait également à cerner les enjeux et perspectives marché, concernant cette fois l’industrie agroalimentaire. Un secteur qu’Yvan Lebrédonchel, du cabinet Artésial Consultants, décrit comme “précurseur sur le sujet de l’usine du futur”. En raison, notamment, de la nature de l’activité. Elle est basée sur une chaîne logistique complexe aux acteurs multiples, utilisatrice de produits frais soumis à des aléas, hyper exigeante en traçabilité, et nécessairement interconnectée avec ses clients… Elle dispose aussi d’une force de frappe conséquente : l’agroalimentaire est le premier secteur industriel en France. Et il dépense chaque année environ 3% de son chiffre d’affaires en investissement.
Une enquête de terrain en cours auprès d’industriels de l’IAA fait ressortir trois préoccupations prioritaires : l’ergonomie des postes de travail avec un intérêt marqué pour les solutions de réalités virtuelle et augmentée ; une interconnexion sûre et robuste des systèmes d’information ; un supplément d’agilité. Ce dernier point est la conséquence d’une tendance de fond du marché : les produits sont déclinés en de multiples versions pour satisfaire une consommation de plus en plus personnalisée. Ce qui impose, en amont, une flexibilité grandissante des chaînes de production, emballage, distribution.
La même enquête fait également remonter quelques réticences : la difficulté à distinguer l’équipement utile du gadget numérique ; les risques de sécurité lorsqu’on ouvre son système d’information ; la crainte de l’obsolescence prématurée, “quel sera le standard du futur ?”. Avec aussi la nécessité d’une transition progressive : “Comment aller pas à pas vers l’usine de demain ?”
La suite faisait une large place aux retours d’expérience et à la R&D collaborative. À commencer par le projet Wine Cloud, porté par R-Tech Œnologie et présenté par Orange Business Services et Photon Lines. L’objectif : développer une plateforme exploitant les données de la filière vin de bout en bout. D’abord en équipant les parcelles de vignes de capteurs, puis en connectant les cuves, et enfin en exposant une partie de ces données en direction des consommateurs. Ce big data de la vigne au verre permettra à la fois d’optimiser les étapes de viticulture et viniculture tout en permettant de mettre en regard les données de traçabilité avec les retours des consommateurs.
Milk Tracking, présenté par Kerhis, est un autre exemple d’application de traçabilité en cours de développement. Son contexte : les enjeux sanitaires et économiques du contrôle laitier, un processus actuel qui repose sur l’humain, la nécessité d’optimiser et de recueillir plus de données, des contraintes fortes d’environnement… La solution envisagée fait appel à un numéro unique gravé sur le flacon.
Il sera ensuite question de monitoring animal et de maintenance prédictive avec le spécialiste des capteurs et communications sans fil RF-Track. De visualisation à l’échelle 1 grâce aux systèmes immersifs en réalité virtuelle et augmentée de Realyz. Et de passerelle universelle pour l’agriculture connectée avec le projet Alamo mené par Europrocess.
La problématique des données est revenue de façon récurrente lors des interventions et pendant les échanges avec la salle. Également lors de l’atelier participatif de l’après-midi qui visait à identifier les sujets clés de la performance des usines agroalimentaires de demain. Avec des questionnements multiples : sur la propriété des données, sur la sécurité des échanges, sur les dangers inhérents à l’ouverture des systèmes d’information, sur la nécessaire confidentialité quand on veut protéger ses process de fabrication. À plusieurs reprises il a été question de peur, par exemple : “Les gens ont peur que ce qui va sortir de leurs données ne leur appartienne plus.” Toutes préoccupations que le fournisseur de solutions numériques ferait bien d’anticiper lorsqu’il propose des solutions.
La prochaine Technoférence Images & Réseaux aura lieu le 5 octobre, sur le thème des objets connectés.