Au-delà des effets d’annonce, la 5G décryptée

Publié le 20/03/2017

Michel Corriou

Grande vedette du MWC, la 5G fait la Une de l’actualité. Un déluge d’annonces et de superlatifs qu’il faut savoir décoder. C’est le sens de cet entretien avec Michel Corriou, directeur Réseaux et Sécurité de l’IRT b<>com. Un point de vue éclairant et tranché sur ce qu’on peut dire aujourd’hui de la 5G. Ainsi que sur les opportunités sur lesquelles se positionner.

Le MWC a été l’occasion d’un emballement autour de la 5G. Comment interpréter cette agitation ?

Michel Corriou. Il s’agit avant tout de discours marketing et de grandes manœuvres stratégiques. Tous les acteurs de l’industrie mobile, et surtout les équipementiers, cherchent à afficher leurs perspectives de développement et à se positionner. Mais en réalité personne ne fait encore de la 5G pour la simple raison que la norme n’existe pas encore. Elle est en cours de standardisation.

De ces quelques jours passés à Barcelone, je retiens pour ma part les échos en provenance des opérateurs. Notamment en Europe, ils disent clairement n’avoir pas encore amorti la 4G. Pour eux, il faut exploiter la génération actuelle avant d’investir massivement dans une nouvelle technologie. Et ça, c’est un point clé.
On présente souvent la 5G comme une révolution. Mais il s’agit en réalité d’une transition qui se fera par étapes avec de grands enjeux d’interopérabilité : le nouveau réseau radio, appelé New Radio ou NR, devra pouvoir travailler avec un cœur de réseau 4G ; de même qu’un cœur de réseau 5G devra supporter à la fois la NR et la 4G LTE.  Ce qui permet à l’opérateur d’introduire progressivement la 5G sans perturber l’existant, changer de technologie tout en assurant la continuité de service.

Les spécifications sont en cours, les directions principales se dessinent. Quelle vision d’ensemble peut-on donner de la 5G ?

MC. Il est important de comprendre que la 5G devra répondre globalement à trois besoins. On représente ces besoins par les trois angles d’un triangle parce qu’ils sont potentiellement antagonistes. La première cible est le terminal mobile qu’il faut pouvoir servir à très haut débit et en déplacement rapide, par exemple visualiser une vidéo dans le train. La deuxième cible sont les objets à faible consommation d’énergie, qui bougent peu ou pas du tout et envoient un message une fois par jour. La troisième est de l’ordre des communications critiques, par exemple de la communication de véhicule à véhicule, où il faut que le système soit ultra fiable et avec très peu de latence pour réagir quasiment en temps réel. Donc il faut voir la 5G comme étant une infrastructure unique capable de délivrer des classes de service complètement différentes : multimédia haut débit, internet des objets, communications critiques. En termes d’architecture, on parle de slicing pour dire qu’il existera des tranches de réseau virtualisées chargées de répondre aux contraintes spécifiques des différents usages.

5G vs 4G

Sur la partie radio, une des technologies constitutives de la 5G est le Massive MIMO. On multiplie les antennes surtout côté station de base de façon à focaliser l’énergie sur les mobiles qui dialoguent en fonction de leur position. Avec la 5G arrive également l’utilisation des fréquences hautes, dites millimétriques, intéressantes car de larges bandes de fréquences sont libres. Les deux technologies combinées impliqueront une densification des cellules notamment en zone urbaine car les fréquences hautes ont une plus faible portée. Ce qui permettra aussi une meilleure couverture indoor.

Sur la partie cœur de réseau, il s’agit d’un changement de modèle : on passe d’une architecture centralisée à une architecture fortement distribuée. L’un des défis de la 5G est de réduire le temps de latence du réseau pour faire en sorte que la réaction à une commande soit quasi immédiate. Donc il n’est plus possible d’aller chercher une information dans un data center centralisé situé à plusieurs centaines de kilomètres comme on le faisait jusqu’à présent. Avec la 5G, la tendance est au Edge Computing : des ressources de calcul distribuées au plus près du lieu d’utilisation. Au point que la frontière traditionnelle entre réseau d’accès radio et cœur de réseau devient moins perceptible. Des fonctions jusqu’alors centralisées pourront être rendues en périphérie, par des data centers de proximité.

On entend beaucoup parler d’initiatives en Asie, parfois aux États-Unis. Est-ce à dire que l’Europe serait en retard sur la 5G ?

MC. La Corée s’est engagée dans des expérimentations 5G aux JO d’hiver de 2018, le Japon aux JO de 2020. On ne peut pas lutter contre les caisses de résonance médiatiques que sont les jeux olympiques. Mais regardons où sont les investissements et la recherche : sur les trois acteurs majeurs côté infrastructures, Ericsson, Nokia et Huawei, les deux premiers sont européens. L’Union Européenne s’est positionnée pour expérimenter la 5G sur des cas d’usages particuliers : l’hôpital connecté, le véhicule connecté… Nous-mêmes participons à des projets européens par exemple sur la sécurité. Ce n’est pas la même échelle médiatique que les JO, mais c’est de l’expérimentation dans la vraie vie.

Identifiez-vous un point fort qui mérite d’être poussé par les acteurs français, particulièrement ceux de notre territoire ?

MC. Oui. Et ce point fort est l’internet des objets, qui est une des cibles de la 5G. Actuellement, on observe une bataille technologique entre des solutions hors standard, comme LoRA et Sigfox, et les solutions 3GPP : d’abord le NB-IoT puis, à plus long terme, le LTE-M. Chez b<>com, nous pensons qu’il n’y aura pas un vainqueur unique mais que l’on va vers une segmentation du marché. Nous estimons qu’il y aura besoin de composants multi-technologies et c’est là-dessus que nous nous positionnons. Globalement, il y une carte à jouer pour les acteurs français car notre écosystème est très riche sur le sujet de l’internet des objets. Sur notre territoire, on peut citer des startups comme Wi6labs, Nemeus, des PME établies comme Kerlink, Actility, des grands groupes comme Sagemcom, STMicroelectronics, des opérateurs comme Orange ou TDF. Il existe de nombreuses niches sur lesquelles travailler : la cohabitation entre les différentes technos, la coopération, la sécurité…

b<>com a été retenu pour être opérateur de tests pour la 5G. Comment ça va se traduire concrètement ?

MC. Ce sont des tests technologiques. Il s’agit d’un réseau expérimental 5G basé sur nos développements, ceux de nos partenaires ainsi que des éléments provenant de communautés Open Source. C’est une plateforme qui permet une intégration de bout en bout. Elle est d’abord destinée à couvrir les besoins internes de b<>com ainsi que les projets partenariaux. Puis, progressivement, nous l’ouvrirons à de l’expérimentation industrielle à horizon 2018.

Plus

Vidéo b<>com sur l’internet des objets. Voir

Communiqué b<>com sur la plateforme de tests 5G. Lire

Crédit visuels : b<>com