Publié le 18/01/2017
C’est l’un des maux de nos villes, le bruit est parmi les principales causes de problèmes de santé. Pour identifier les zones les plus touchées, on établit des cartes de bruit. Mais sont-elles fiables ? Les chercheurs et industriels du projet CENSE mettent au point une méthode sans équivalent pour établir ces cartes, mêlant réseau de capteurs et modélisation. Avec aussi, pour relayer les données, des lampadaires intelligents.
La réglementation l’impose, toutes les villes de plus de cent mille habitants doivent produire des cartes de bruit. Car les nuisances sonores sont devenues un vrai problème de santé. Selon l’OMS, “elles sont la deuxième cause de morbidité, derrière la pollution atmosphérique, parmi les facteurs de risques environnementaux en Europe”. C’est le rapport sur l’environnement en France qui le dit (décembre 2014).
Mais pour établir ces cartes, il n’existe jusqu’à présent que deux méthodes : soit la modélisation numérique qui calcule les nuisances sonores à partir des sources de bruit connues, soit des mesures directes par des capteurs répartis sur le territoire considéré. Toutefois, problème, toutes deux sont très imparfaites. Celle par calcul, de loin la plus répandue, parce que les modèles sont souvent éloignés de la réalité et les sources de bruit mal répertoriées. Celle par mesure directe, du fait d’une couverture inévitablement clairsemée du territoire considéré tant il est coûteux de déployer une telle solution.
Le projet CENSE défriche une troisième voie, intermédiaire, qui mêle mesures en temps réel et modélisation. Une méthode aujourd’hui possible “parce que l’évolution technologique permet d’envisager de déployer un réseau de capteurs communicants à un coût abordable”, analyse Judicaël Picaut, chercheur à l’Ifsttar et responsable du projet. “L’idée n’est pas totalement neuve. D’autres domaines comme la météo utilisent des approches qui fusionnent modèles et mesures. La nouveauté, c’est d’appliquer ces approches dites d’assimilation de données à l’acoustique environnementale. Ce qui n’existe pas aujourd’hui de manière opérationnelle.”
L’un des principes directeurs consiste à développer des capteurs sonores à bas coût, certes beaucoup moins précis que les capteurs de bruit existants sur le marché mais incomparablement moins chers. Ce qui permettra de les déployer en nombre et de constituer “un réseau de capteurs largement distribués”.
Pour transporter les données, le réseau de capteurs sonores sera supporté par un système d’éclairage intelligent développé par l’un des partenaires du projet, Bouygues Énergies & Services. Cette technologie transforme un réseau d’éclairage classique en réseau de communication, du type courant porteur en ligne, capable de raccorder tout capteur communicant à un service internet.
Dans le cas du projet CENSE, le système d’éclairage intelligent sera la colonne vertébrale du réseau de mesure du bruit : il en sera le canal principal de communication, il alimentera en énergie les capteurs installés directement sur les lampadaires, il servira aussi de relais de communication pour des capteurs sonores “connectés en hertzien”, installés hors des chemins d’éclairage. “L’utilisation de la transmission sans fil permet de distribuer de façon plus dense le réseau de capteurs sonores sur la ville.”
L’ambition du projet CENSE est aussi d’aller plus loin que les cartes de bruit classiques, qui ne tiennent compte que de critères physiques pour caractériser les nuisances. Or, “il existe bien d’autres paramètres qui entrent en compte. Ce n’est pas parce qu’un bruit est fort qu’il est automatiquement gênant. La perception humaine des nuisances sonores est complexe, à l’exemple du bruit insupportable de la goutte d’eau dans le lavabo ou de la moto qui va réveiller tout un quartier. L’idée, c’est de produire des cartes de bruit représentatives de la perception.”
CENSE débute avec l’année 2017 pour s’étaler sur une période de quatre ans. Temps nécessaire pour, notamment, développer les capteurs et le traitement du signal intégré, déployer un réseau, effectuer des mesures sur une longue période et affiner les modèles d’interprétation. La ville de Lorient, qui participe par un soutien matériel, servira de terrain d’expérimentation. Les partenaires scientifiques et industriels espèrent avec ce projet “faire avancer des solutions innovantes qui pourront être ensuite être industrialisées et valorisées économiquement”. Il existe également un enjeu de positionnement sur les thèmes prometteurs que sont les smart cities et smart grids, pour lesquels “il ne faut pas manquer l’opportunité d’être parmi les acteurs majeurs”.
Au travers du système d’éclairage intelligent mis en œuvre, CENSE est lié au projet SMILE porté par les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire pour expérimenter et devenir territoire de référence en matière de réseaux électriques intelligents.
CENSE en bref :
- Projet soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR)
- Labellisé des pôles de compétitivité Images & Réseaux et S2E2
- Autour de Ifsttar Nantes, porteur du projet, 8 autres partenaires : Bruitparif, Cerema Est, École centrale de Nantes (LS2N), INRIA Rocquencourt, Université de Bretagne Sud (Labsticc), Université de Cergy-Pontoise, Bouygues Énergies & Services, et Wi6labs.