Publié le 17/09/2019
Salle comble vendredi 13 septembre sur le site nantais de l’ICO. D’évidence, la problématique IA-Santé est un sujet qui passionne. De même que la question sous-jacente de l’utilisation des données de santé. Cette dernière s’est invitée de façon récurrente au cours des interventions et débats de la journée.
Les pôles de compétitivité Atlanpole Biothérapies et Images & Réseaux renouvelaient le 13 septembre leur collaboration au long cours dans l’organisation d’une journée Numérique & Santé. Cette étape nantaise, dans le cadre de la Digital Week, était préparée en partenariat avec l’Institut de Cancérologie de l’Ouest (ICO), le pôle TES, Atlanpole, la CCI, ID2santé, le CHU de Nantes et l’Université de Nantes. La journée, structurée en une matinée de conférences, témoignages et table-ronde puis d’un atelier d’idéation l’après-midi, était centrée sur une question : “Comment l’Intelligence artificielle contribue à la prise en charge du patient tout au long de sa vie ?”
Jean-Christophe Mestres d’IBM commençait par un peu de pédagogie sur l’intelligence artificielle en santé. Dans ce “vaste domaine”, il met en évidence trois concepts. Ce sont d’abord “les systèmes cognitifs” où l’apprentissage machine est guidé par l’humain. Un exemple : le service IBM Watson for oncology qui assiste les médecins dans l’étude des données liées au patient et avance des recommandations. Ensuite vient le Machine Learning où l’apprentissage est automatisé grâce à des jeux de données qualifiées. Les réseaux de neurones ainsi entrainés sont notamment utilisés en imagerie médicale, par exemple pour effectuer le suivi de chimiothérapies et “identifier des réactions inflammatoires”. Enfin, troisième concept, “le quantum computing”, qui a pour avantage d’accélérer les calculs en réduisant le nombre des itérations.
Pour illustrer les possibilités offertes par la plateforme d’intelligence artificielle d’IBM, l’intervenant prend l’exemple de la startup nantaise Odroa finaliste du IBM Watson Build Challenge 2018. L’entreprise se définit comme spécialisée dans l’analyse et la manipulation de données sensibles telles que les données de santé. Selon son CEO, Patrick Paysan, la solution cognitive pour la santé mise au point a dû d’abord “avaler des milliers de documents scientifiques”. D’où il conclut : “Le travail d’apprentissage ne se fait tout seul, il y a derrière une intelligence humaine.”
À suivre Hanane Kadar de l’ICO explique comment l’utilisation des données liées à la santé est un enjeu pour “prévenir, diagnostiquer, traiter mais aussi suivre les patients et éviter les rechutes”. S’agissant de l’ICO on parle bien-sûr de cancer, une maladie “grave, fréquente et très complexe”. L’idée est d’exploiter “toutes les données que l’on génère” – données cliniques, d’imagerie, moléculaires, biologiques, environnementales et de vie réelle – pour aller vers “une médecine de précision augmentée”. Le programme comprend de multiples volets, dont le projet EPICURE focalisé sur l’imagerie. Ludovic Ferrer de l’ICO et Mathieu Rubeaux de Keosys en détaillent les objectifs. En particulier, “utiliser le Deep Learning pour apprendre à reconnaitre les métastases et segmenter les lésions”. Et au final, “extraire des biomarqueurs prédictifs du sein métastasique”.
Dans le même ordre d’idée, Matilde Karakachoff présentera plus tard dans la matinée l’entrepôt de données médicales issues du soin au CHU de Nantes. L’enjeu “disposer d’un entrepôt de qualité” à des fins de recherche. Notamment alimenter les essais cliniques en données de soin et faciliter la constitution de cohortes pertinentes. Un service dédié appelé Clinique des données a été créé afin de partager l’expertise et mieux valoriser les données et leurs analyses. Pour aborder les technologies comme l’IA et le Big Data, “il faut envisager une ouverture” au-delà du CHU estime l’intervenante.
Quelques projets R&D pour illustrer. Tout d’abord le premier âge avec le projet Digi-NewB exposé par Fabienne Porée de l’Inserm Rennes. Les bébés prématurés sont très sensibles aux infections. Ce qui se traduit par de subtils changements de comportement qu’un dispositif de monitoring vidéo et audio va tenter de détecter au plus tôt. Problème, ce système d’enregistrement dans la durée “génère énormément de données”. D’où l’intérêt des algorithmes d’intelligence artificielle pour les étudier. L’objectif : détecter une infection avec “plusieurs heures, voire 2 ou 3 jours d’avance“. L’outil est encore loin d’être au point, mais : “Nous sommes confiants, ça marchera un jour.”
Après les bébés, le grand âge. Manuel Abbas de l’Université Rennes 1 présentait deux projets en cours. Silver@Home, projet d’innovation au croisement des filières, utilise différents objets connectés (bracelet, collier…) pour permettre au senior de suivre l’évolution de son état de santé dans de bonnes conditions. L’IA sert par exemple à “classifier les chutes” et en déterminer la gravité. Tandis que le projet ANR ACCORDS intervient en amont dans l’étude des premiers signes de fragilisation. Les deux projets visent à constituer un ensemble complet depuis l’IoT jusqu’à la plateforme de suivi afin de faciliter le maintien à domicile des personnes âgées.
Deux pistes de boîtes à outils pour développer de l’IA au sein d’une organisation. La première, présentée par Antoine Denis de Microsoft, vise à s’affranchir des contraintes et compétences matérielles liées à la gestion des données massives en faisant appel à un service Cloud : Microsoft Azure. “Il faut choisir son modèle selon ce que l’on veut faire” prône l’intervenant. “Dans un projet d’intelligence artificielle, on a besoin de compétences telles que des Data Scientists et des techniciens de l’IA de façon à adresser un problème métier.”
Deuxième piste évoquée, l’Institut de recherche technologique b<>com propose un accompagnement personnalisé grâce aux compétences différentes qu’il regroupe. “C’est bien d’avoir des données et des data scientists, mais il faut aussi disposer de compétences en ingénierie pour passer à l’échelle et faire du business” expose Carole Le Goff, Business Development Manager en e-santé. L’offre IA de l’IRT est basée sur 3 propositions : la mise à disposition des dernières avancées scientifiques (AdvanceAI), la résolution de verrous (ImproveAI), et le transfert de compétence (BoostAI).
“L’IA est un révélateur, mais la richesse réside dans les données” énoncera un intervenant au cours de la journée. Si bien que la problématique des données de santé a été omniprésente durant les échanges : Qui fournit les données de santé ? Appartiennent-elles aux patients ? Comment garantir la confidentialité ? L’anonymisation est-elle fiable ?
Ce sujet des données a notamment agité la table ronde consacrée aux manières de mettre en place de l’IA dans un établissement de santé. Marianne Bourdon de l’ICO a conduit une enquête sur le Big Data en santé : “Ce qui ressort, c’est la question de la confiance… Les patients soulèvent le manque d’information sur la finalité de ces recherches. Au-delà de l’aspect réglementaire, il faut informer et vulgariser.” Autre demande des patients à propos d’applications de suivi : “Les outils ne doivent pas se substituer à la relation avec le médecin.”
Mathieu Galtier, de Owkin, met lui aussi en avant l’éthique : “Il faut que l’hôpital, le patient, gardent le contrôle de leurs données. L’intelligence artificielle ne fait que traduire la valeur de ces données… Comment est-ce qu’on fait pour respecter toute la chaîne de valeur ?” Patrice Lecerf, informaticien au CHU de Nantes admet qu’il reste beaucoup à faire : “On n’a pas encore tout réglé.”
Patrice Riou de Weliom insiste quant à lui sur la qualité des données qui est “un prérequis”. Les algorithmes d’intelligence artificielle permettent d’éliminer des tâches répétitives et d’optimiser les ressources. Mais il faudra “leur trouver de la rentabilité” car la puissance de calcul et les compétences nécessaires ont un coût.
Dans la continuité des discussions de la matinée, la journée se concluait par un atelier Hacking Health. Celui-ci invitait les participants à réfléchir sur les perspectives et enjeux des outils d’intelligence artificielle dans la prise en charge des maladies de longue durée.