Publié le 25/10/2016
Une analyse proposée par Jean Claude Fraval dans le cadre de ses activités pour le pôle Images & Réseaux.
Plusieurs sujets sont à aborder sur ce sujet Tout d’abord l’automatisation de certaines tâches se fait-elle au détriment de l’emploi ? Quels sont les emplois « menacés » par l’automatisation ? De nouveaux emplois sont-ils « générés » grâce à ou par l’utilisation des nouvelles technologies. Les nouvelles compétences dont les technologies numériques ont besoin sont-elles disponibles ? Autrement dit est-ce que la révolution numérique est possible compte-tenu de l’amont (éducation, formation) et est-ce que la révolution numérique est souhaitable pour l’aval (l’emploi) ?
Dans la première décennie, bon nombre d’études démontraient l’apport positif en termes d’emplois de la révolution numérique. C’est ainsi qu’en mai 2011, McKinsey dans un rapport élaboré pour le G8 mettait en évidence le nombre de 2,6 emplois créés pour un emploi détruit (voir page 3). Cette démarche mettait en place un processus « schumpetérien » de destruction créatrice où certains emplois étaient créés, d’autres maintenus, d’autres encore « transférés » et enfin certains détruits, le bilan étant globalement positif (sans pour autant qu’il le soit localement ou pour telle ou telle entreprise, tel ou tel métier).
Puis sont venus l’étude d’Oxford, les travaux d’Erik Brynjolfsson and Andrew McAfee (« The great decoupling » et surtout “The Second Machine Age : Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies”), montrant l’impact « possible » des technologies sur l’emploi. A titre d’exemple l’étude Adzuna parue en 2016, s’appuyant sur les résultats de l’étude de l’Université d’Oxford et sur leurs fichiers des demandes et offres d’emploi, montre :
Plus grave est le déficit prévu en termes d’emplois qualifiés pour ces nouveaux métiers. L’étude eskills de l’Union Européenne fait apparaître un déficit de 756 000 emplois en 2020, malgré les 674 000 emplois nouveaux pourvus portant le nombre total d’emplois dans les technologies numériques à 8 209 000 emplois, dont 52% se situent dans 8 secteurs d’activité au-delà des 48% dans celui des TIC.
La France n’est pas dans le peloton de tête de l’Europe avec 3,4% des emplois dans le secteur TIC (moyenne européenne à 3,5%), alors que les pays du nord de l’Europe se situent entre 4,8% et 5,9%. L’enquête PIAAC de l’OCDE qui mesure le niveau de compétence des adultes, place la France dans le peloton de queue. Cette « incapacité » interne fait dire à certains que la « désindustrialisation de la France est inéluctable ».
Une crainte est cependant à mettre en évidence, déjà sensible dans certains pays avancés. L’automatisation des tâches aussi bien dans l’industrie que dans les services se traduit par une diminution des compétences nécessaires pour les exécuter. Certes les compétences nécessaires pour les « programmer », les « mettre au point », les « installer », les « maintenir » augmentent mais les emplois concernés par cette augmentation des compétences portent sur un faible nombre. L’immense majorité des tâches « assistées », qui sont les plus nombreuses, entraînera une baisse des compétences requises. Or le savoir, son acquisition, sa transmission nécessite des compétences. Le risque est donc grand de voir la capacité d’acquisition et de transmission d’un savoir faire diminuer. Le parallèle avec les artisans d’art est significatif. La perte des filières d‘enseignement et d’apprentissage entraîne immanquablement une réduction, voire la disparition de certaines disciplines. Voilà pour l’aval.
L’amont (l’éducation, la formation) n’est guère mieux placé. L’enquête PISA constate également le décalage de la France en matière de compétence des apprenants. En particulier l’ère numérique n’est pas parvenue jusqu’à l’école. Si nous reconduisons, maintenant, ce qui a été une erreur depuis trente ans en matière d’éducation et de formation, nous ne récolterons jamais les fruits de ce qui n’a pas été semé et nous reconduirons à l’identique ce décalage. En reprenant les thèmes d’une étude de Claudia Goldin et Lawrence F. Katz (Harvard) sur la course entre la technologie et l’éducation, certains chercheurs en déduisent une course entre la technologie et les capacités (les métiers), montrant ainsi des décalages « pénibles » lorsque les technologies progressent plus vite que les capacités (notamment au moment des « révolutions ») et des décalages « bénéfiques » (prosperity) lorsqu’au contraire les capacités rattrapent les technologies et les dépassent.
Ce qui reste à évaluer c’est le nombre d’emplois qui résultent de l’utilisation des TIC (ce qu’on pourrait appeler la société numérique) au-delà donc des emplois en propre du secteur des TIC et des emplois dans les secteurs dont les produits et/ou services sont aujourd’hui délivrés sous forme numérique (presse, édition, musique, jeu, vidéo, cinéma, publicité, …) et qu’on pourrait appeler l ’économie numérique. Un fabricant de chaussures qui utilise un robot pour produire reste un fabricant de chaussure (société numérique), mais resterait-il un fabricant s’il n’utilisait pas ce robot, pourrait-il continuer à produire face à la concurrence ? Le concepteur du robot, son « programmateur » (économie numérique), son régleur, la personne chargée de son entretien et de sa maintenance n’existeraient pas si le robot n’existait pas et n’était pas utilisé par ce fabricant. Le producteur du robot (technologie numérique) n’existerait pas si le robot n’était pas conçu et/ou produit. Par contre ce fabricant de chaussures entraîne à son tour une chaîne commerciale pour la vente, la distribution (y compris par Internet) et une chaîne logistique pour la livraison (société numérique). Peut-être involontairement va-t-il contribuer à la fermeture d’une autre usine de fabrication dans un autre pays (société numérique). Cet effet d’irrigation des technologies numériques (les externalités) rend très complexe l’évaluation de ces technologies sur les emplois créés ou les emplois détruits. Auraient-ils été créés avec ou sans technologies, auraient-ils été détruits avec ou sans technologies.
Les TIC représentent environ 5,9% du PIB en Europe (source : « e-Skills in Europe »). Elles ne représentent par contre que 3,5% de l’emploi (source : « e-Skills in Europe »). Ce décalage s’explique en grande partie par le fait que les produits et services sont à forte valeur ajoutée, nécessitant moins d’emplois mais de plus grande qualification.
Au-delà du secteur lui-même, les TIC contribuent au développement de tous les autres secteurs économiques, les TIC représentant en effet plus de 50 % de la croissance de la productivité en Europe (source : Commission Européenne). o Au-delà du marché des TIC, le poids des secteurs « transformés » par la numérisation dans le PIB est de 12% (édition, musique, production audiovisuelle, finance, assurance, publicité, R&D, voyagistes, etc.) (source : mission IGF). Les secteurs qui ont dégagé des gains de productivité significatifs grâce à l’intégration des technologies numériques représentent (mission IGF) 60% du PIB. Il y a d’ailleurs fort à parier que cette proportion ira croissante. Il y a donc un rapport de 1 à 3,4 entre le PIB des technologies numériques et celui directement impacté et un rapport de 1 à 15,4 avec l’ensemble du PIB « concerné » (les technologies et l’économie numérique et la société numérique). Le secteur des technologies numériques représente 48% de l’effectif total des professionnels des TIC tous secteurs confondus. Il faudra donc multiplier par 2,08 l’effectif propre aux technologies pour trouver l’effectif total dans les TIC tous secteurs confondus, en remarquant de plus que ce chiffre aura tendance à croître, la diffusion dans les entreprises n’en étant qu’à ses débuts. Les perspectives conduisent à une prévision d’un potentiel de 1 430 000 (pour l’Europe des 28) nouveaux emplois entre 2014 et 2020 soit une croissance de près de 19% sur la période, laissant cependant apparaître un déficit de 756 000 emplois non pourvus toujours à l’horizon 2020 (tous secteurs confondus (en Europe des 28).
Encore une fois le capital humain est primordial.