Publié le 13/10/2016
En 2014, Flavie Ferchaud a débuté un tour de France à la rencontre des lieux d’expérimentation numérique. Le 14 octobre, pendant les journées de la créativité numérique, elle intervient sur les nouvelles technologies et leurs influences sur la fabrique des villes. Interview.
*Flavie Ferchaud est chercheuse en aménagement urbain. Doctorante au laboratoire de géographie sociale ESO (Rennes II), elle poursuit sa thèse : “Le rôle et la place des lieux de fabrication et d’expérimentation numérique dans les fabriques urbaines. Les cas de Gand (Belgique), Rennes et Toulouse”.
Flavie Ferchaud : Au début de ma thèse, je parlais de lieux d’expérimentation numérique. Je suis encore en phase de travail, mais j’évoque davantage des lieux dédiés aux pratiques numériques, à la fabrication et à l’expérimentation car on y aussi trouve des outils de bricolage, du bois, des projets autour de la mécanique. Ce ne sont donc pas des lieux « tout numérique ». Je me suis d’abord attachée à trois types de lieux : les fablabs, ces laboratoires de fabrication numérique plus ou moins inspirés du cadre défini par le Massachusetts Institute of Technology. Puis les hackerspaces qui sont parfois des lieux presque familiaux, centrés sur une communauté, qui peuvent développer des applications, des logiciels, faire de la mécanique ou de l’électronique. Et, enfin, les living labs, plus centrés sur l’expérimentation de produits et services. Entre 2014 et 2015, j’ai visité 14 lieux dans 10 villes et j’ai mené 56 entretiens. Aujourd’hui, je me concentre sur Rennes et Toulouse, ainsi que sur le cas de Gand, en Belgique depuis un an. J’ai un peu délaissé les living labs car ils représentent plus une méthode qu’un lieu à proprement parler.
Flavie Ferchaud : Non. Au départ, j’avais distingué ceux qui ont une approche plutôt libertaire, comme les hackerspaces, ceux qui ont une approche plutôt économique, les living labs, et certains qui se situent entre les deux comme les fablab. Finalement, cette typologie est un peu enfermante car chaque lieu peut être à la frontière de l’un ou de l’autre. Ils diffèrent souvent dans leur fonctionnement, leur public, leur organisation ou leur gouvernance. Certains sont dans la gratuité volontaire, d’autres ont des services payants. Certains lieux sont plus cachés. D’autres sont des vitrines. Par exemple, les living labs que j’ai rencontrés étaient davantage des lieux d’interface entre collectivités et entreprises. À Lyon, Lyon Urban Data et le Tuba réunissent, par exemple, des acteurs privés et publics. L’objectif est de tester des produits et des services en lien avec les data (et plus largement de la ville intelligente, NDLR), avant une mise en marché.
F. F. : C’est plus une question d’individus que de lieux. Par exemple, à Rennes et à Gand, le côté « entrepreneuriat » n’est pas très saillant, même s’il existe. Il l’est davantage à Toulouse où, en 2014, le Fablab a créé une société, l’Artilect Lab, qui propose des prestations aux entreprises et aux startups du territoire. À Rennes, la proximité entre le Labfab de Télécom Bretagne et son nouvel incubateur va peut être accentuer cette dimension entrepreneuriale. Là où ces lieux sont singuliers, c’est sur ce qu‘ils apportent en terme de prototypage et d’expérimentation dans un lieu ouvert. En revanche, le partage des connaissances et la documentation restent des questions qui ne sont pas toujours faciles à gérer. Par exemple, Artilectlab essaie d’inciter à cette ouverture en proposant des coûts de prestations moindres aux entreprises qui acceptent de partager leurs travaux. Or, de nombreux industriels n’y sont pas prêts.
F. F. : Ils sont souvent situés dans des parties de ville qui sont en cours de réhabilitation ou qui vont faire l’objet d’une rénovation, comme à Gand ou à Toulouse. Pour les municipalités, ils peuvent être une occasion de régénération urbaine d’un quartier dans une optique de ville créative. Ils co-habitent alors avec des associations, des artistes, des artisans comme au Nerdlab de Gand où il y a un souffleur de verre, un bar associatif, une association de graffitis et de fabrication de mobilier temporaire. La contradiction, c’est que ces lieux sont parfois des lieux d’animation du quartier, mais paradoxalement, les habitants du quartier n’y viennent pas forcément.
F. F. : Certains lieux ont des thèmes de travail, comme le développement durable au fablab de Gand. Ils explorent, par exemple, l’alimentation dans la ville et se demandent comment développer les circuits courts. Ils sont aussi en train de concevoir des capteurs de pollution de l’air à accrocher sur les vélos. Ici, l’intérêt n’est pas seulement technique car le projet doit aussi permettre de sensibiliser les personnes à la pratique du vélo. Il y a donc une ambition politique derrière.
F. F. : Il y a, parfois, une dimension politique forte parce qu’ils posent des questions que tout le monde ne se posent pas, notamment sur l’usage de nos données, la sécurité ou comment se placer vis-à-vis de dispositifs de surveillance. Ils apportent un regard critique sur les grands acteurs de la ville intelligente, notamment sur la protection des données, leur accessibilité, l’opensource. Ce qui est certain, c’est que ces lieux portent des valeurs comme l’interdisciplinarité ou le prototypage rapide et ils ont favorisé l’émergence de nouvelles méthodes pour créer et tester des produits ou des services.
Plus : Flavie Ferchaud intervient le vendredi 14 octobre pendant Demain#2, les journées de la créativité numérique organisées au Mabilay, dans le cadre du festival Maintenant. La programmation complète de Demain#2.