Publié le 12/04/2019
Le monde de l’énergie évolue vite : le consommateur devient aussi producteur, les véhicules sont de plus en plus électriques, les priorités sont à la sobriété, au renouvelable, aux circuits courts… La journée “Réseaux énergétiques intelligents au service des territoires” faisait le point. Avec des retours d’expérience multiples et très riches. Grâce en particulier à l’engagement remarquable des territoires de Bretagne et Pays de la Loire sur le sujet.
L’événement se tenait le 9 avril à Brest, aux Ateliers des Capucins. Lieu symbolique en regard du thème du jour car au cœur d’un écoquartier, Le plateau des capucins, où se conjuguent des modes de mobilité innovants (à côté du tramway, un téléphérique), des bâtiments économes en énergie, un réseau de chaleur urbain, de l’électricité solaire en autoconsommation… Tous sujets dont on va largement débattre au long de la journée.
Celle-ci était organisée par l’interpole Smart Energy French Cluster, qui allie les pôles de compétitivité de la transition énergétique et du numérique, avec aussi le concours des pôles S2E2 et Images & Réseaux. L’événement était consacré au partage d’expériences pour éclairer les technologies, pratiques et usages, et créer du lien entre les différents acteurs impliqués : collectivités locales, industriels et chercheurs experts de l’énergie. À suivre, quelques points saillants qui ont émergé au fil d’un programme très étoffé et diversifié.
Une phrase reviendra de façon récurrente dans les interventions : “Nous ne sommes qu’au début de l’histoire.” Ceci pour exprimer que la transition énergétique est en cours et qu’elle modifie la donne en profondeur, rapidement et durablement. Le modèle énergétique d’hier, axé sur une production d’électricité centralisée et une distribution hiérarchisée, a vécu. Aujourd’hui apparaissent de nouveaux besoins (le stockage d’énergie), de nouvelles pratiques (l’autoconsommation, la production locale), de nouveaux usages (la mobilité électrique), de nouvelles exigences (sobriété, décarbonation, soutenabilité…). Si bien que le cadre réglementaire doit en permanence s’adapter.
Surtout, explique Didier Lafaille du Comité de régulation de l’énergie (CRE), il faut “identifier les freins réglementaires ou régulatoires” afin de les lever et ainsi encourager l’innovation. L’inscription dans la loi est un des leviers. Mais aussi la tarification, par exemple pour favoriser “l’autoconsommation collective” qui permet à plusieurs résidents d’un même quartier de se regrouper et de mutualiser leurs production et consommation. Parmi les impératifs, il faut “autoriser l’expérimentation” et donc permettre de “déroger au règlement”. Le CRE met en place “des bacs à sable réglementaires” pour tester de nouvelles pratiques, par exemple sur le thème des points de recharge dans le cadre de la mobilité électrique.
Autre élément à retenir, l’importance cruciales des données. Car le nœud de la problématique énergétique reste de faire coïncider la consommation avec la production. Et donc de disposer des données qui permettent de tirer sur l’une ou l’autre des ficelles qui permettent l’équilibre : fournir l’énergie au moment des besoins ; consommer l’énergie quand elle est disponible ; éventuellement tamponner les flux lorsqu’il existe un moyen de stockage efficace.
Thierry Djahel, de Schneider Electric, lors de son tour d’horizon des projets industriels structurants, insiste sur la nécessité d’un “socle numérique” qui permette “l’interopérabilité des échanges de données”. Il s’agit de “décloisonner les silos” entre les différentes sources d’énergie disponibles alors qu’il existe aussi des “mixités d’usages” et “des complémentarités” entre par exemple le tertiaire et le résidentiel. Plus tard, Lionel Guy de la FNCCR, qui rassemble les collectivités territoriales gérant ou déléguant leurs réseaux d’eau ou d’énergie, dira : “Nous militons pour un service public de la donnée.” Le besoin de données est temps réel, mais aussi sur la durée. La collectivité peut être “le garant de confiance” qui rassure les différentes parties prenantes.
Dans la continuité et à propos du programme SMILE de réseaux intelligents en Bretagne et Pays de la Loire, Bertrand Yeurc’h d’Images & Réseaux présentait PRIDE, la Plateforme régionale d’innovation pour les données de l’énergie. Rien d’évident “quand on se rend compte de la réalité du terrain” et des “fortes verticalités” qui subsistent. Il s’agit de mettre à disposition des données ouvertes mais aussi, lorsque nécessaire, de donner accès à des données fermées dans des conditions contrôlées. Car, “la valeur nait du croisement des informations”. L’intervenant insiste : “Il est très important lorsque l’on construit des smart grids de ne pas se focaliser uniquement sur les flux d’énergie mais d’intégrer dès le départ les dimensions plateforme et données.” Le projet PRIDE est aujourd’hui à mi-parcours de son développement.
Le sujet des données allait être évoqué à de nombreuses autres reprises. Notamment à propos du compteur Linky. Ainsi Eric Laurent de Enedis: “Avec Linky, nous ouvrons le champ des possibles.” Il fait référence à l’expérimentation SOLENN qui permet au consommateur de mieux maîtriser sa consommation. Avec aussi l’avantage pour l’opérateur d’anticiper grâce aux données relevées en temps quasi-réel sur ce qu’il faudra produire.
À côté de la ressource électrique, d’autres réseaux énergétiques se mettent en place. L’intelligence des réseaux consiste aussi à combiner les ressources disponibles. Amaury Mazon, de GRTgaz, décrivait les spécificités du réseau de gaz naturel qui doit maintenant prendre en compte les unités décentralisées de méthanisation. “Ça va très vite. La méthanisation pourrait couvrir 10% de la consommation en Bretagne d’ici 2025.” Plus tard, Pierre-Yves Clavier, de Brest Metropole, et Guy Pellen, du Groupe Dalkia, présentaient à deux voix le réseau de chaleur de Brest. L’unité de production principale valorise les déchets de l’agglomération et des environs tandis que 4 autres sites garantissent la continuité du service selon un schéma distribué. Un ballon de stockage géant (10m de diamètre, 20 m de haut) “permet d’optimiser la valorisation des énergies renouvelables” en accumulant de l’eau chaude lors des pics de production.
La journée foisonnera d’autres exemples. Ainsi la micro-grid insulaire d’Ouessant, île qui présente la particularité de ne pas être interconnectée avec le continent. Le système combine une hydrolienne, du photovoltaïque, une centrale thermique et un stockage centralisé sur batteries géré par EMS (Energy Management System). C’est encore la commune du Mené (22) qui vise l’autosuffisance énergétique. Aussi le projet Brest Smart Mobilities qui vise à mettre en place un smart grid à l’échelle d’un réseau de transport public mixant différents modes électriques (tramway, bus et téléphérique). Parmi les objectifs : être capable de donner la priorité à la recharge d’un véhicule qui arrive au terminus.
Les usagers très concernés par la transition énergétique sont minoritaires. Ce sont par exemple les gens qui vont s’engager dans l’autoconsommation individuelle ou collective. Ou encore construire un projet citoyen d’énergies renouvelables souvent basé sur un financement participatif. S’il faut encourager ces initiatives citoyennes, il est aussi indispensable d’entraîner les autres usagers dans la démarche.
C’était précisément le sens de l’intervention de Morgane Innocent du laboratoire LEGO de l’UBO, qui rendait compte d’une étude réalisée à propos de SOLENN. L’expérimentation visait à renforcer la maîtrise de la consommation électrique par l’implication des utilisateurs (1000 foyers ont participé). L’étude, qui portait sur l’accompagnement du consommateur, a mis en évidence deux constats. Premièrement, le postulat qui voudrait que connaître sa consommation est une incitation à un changement des pratiques est erroné. Plus précisément, “le fait d’avoir accès à des données ne suffit pas”. Deuxième constat : à côté de la technologie il faut “un accompagnement à l’usage”, qui permette de passer de la connaissance à la compétence et “à la pratique des écogestes”.
Les différentes briques qui permettront de construire un socle numérique pour la transition énergétique sont autant de pistes pour les startups. Particulièrement autour des données qu’il faut générer, collecter, qualifier, stocker, analyser, sécuriser, présenter… En fin de journée, quelques jeunes pousses ont eu l’occasion de présenter leur activité. Ainsi, Sensing Vision propose une solution pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments tertiaires grâce à une architecture IoT et des outils d’analyse IA. Enamo, qui agit sous forme de conseil et assistance à maîtrise d’ouvrage sur les thèmes des énergies renouvelables et du stockage. Energies Demain, spécialisé dans la mise en œuvre des politiques publiques de réduction des consommations d’énergie. L’entreprise expérimente “un cadastre de la consommation d’énergie”, intitulé CaSBâ, permettant d’établir un profil du logement et de simuler des opérations de rénovation.
Cette journée, particulièrement dense, sur l’énergie et le numérique en appelle d’autres. Gérard Le Bihan a prévenu qu’il y aura bientôt “un match retour”, porté cette prochaine fois par le pôle partenaire S2E2 à Angers en Pays de la Loire.
Photo de Une. Ronan Pichon, Vice-président de Brest Métropole, présente les multiples actions de la collectivité sur le thème de l’énergie.