Les artistes doivent-ils avoir peur de l’intelligence artificielle ?

Publié le 28/11/2016

intelligence artificielle

Et si un algorithme vous touchait plus que Mozart, Ennio Morricone ou The Beatles ? Introduite sur les plates-formes musicales pour la recommandation, l’intelligence artificielle s’attaque dorénavant à la création. Notes, tempo et mélodies inclus. De quoi concurrencer les artistes ?

En 1965, sur CBS, Raymond Kurzweil déjoue l’imagination des invités d’un jeu télévisé. Après avoir joué au piano une mélodie classique, il explique tenir cette partition d’un ordinateur conçu et programmé par ses soins. De quoi rêver à la créativité future des robots ? En la matière, la science-fiction des années 1960 rattrape toujours lentement mais sûrement le présent. En juin dernier, quelques titres de presse ont relayé une première création musicale du futur cerveau artificiel de Google. Issu du projet Magenta, qui veut fédérer des artistes, des codeurs et des chercheurs spécialisés dans le deep learning, le morceau de 90 secondes a été créé par des robots qui ont utilisé un programme d’intelligence artificielle musical open source. A la fin de l’été, c’est au tour du Computer Science Laboratory (CSL), un centre de recherche parisien créé il y a 20 ans par le Japonais Sony, de dévoiler « Daddy’s car ». Présenté comme le nouveau titre des Beatles, le titre a été partiellement généré par une intelligence artificielle. Surnommée Flow Machines, elle réalise des compositions automatiques en puisant dans une base de données riche de 13 000 partitions musicales.

L’intelligence artificielle en appui

« Cette IA est capable de fabriquer des partitions mais aussi des arrangements et des orchestrations », explique François Pachet**, directeur de recherche au Sony CSL. De quoi se passer de l’intervention humaine ? Pas encore. Derrière la machine, l’homme reste le chef d’orchestre. Pour que le prototype propose des solutions, l’artiste doit sélectionner un ou plusieurs titres contenus dans la base, préciser un style ainsi que plusieurs paramètres comme l’accord de départ ou la signature rythmique. Une fois la solution proposée, elle peut être retravaillée… par l’artiste à nouveau. Autres talents encore inaccessibles à la machine, l’écriture des paroles, la savante alternance des refrains et couplets et le choix d’accoler une voix, de la flûte ou de la guitare à une mélodie. Dans les faits, l’homme reste donc très présent derrière la machine. Pour autant, la composition musicale automatique bouscule sa place en tant qu’auteur.

Vers la fin du droit d’auteur à la française

À qui, en effet, attribuer la paternité d’une telle création ? En France, le droit d’auteur est rattaché à l’individu. Il protège le travail d’une personne unique payée pour sa production et permet de lui verser une rente liée à son usage. Qu’en est-il en cas de co-production homme-machine ? Ou bien de production unique par une machine ? Pour Jérôme Giusti, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication, l’arrivée des machines bouleverse la donne. « Si on parle de création attribuée à une machine, c’est presque la négation même du droit d’auteur puisqu’aucun auteur ne viendra revendiquer ce droit », résume t-il. D’après lui, deux questions se dégagent si les créations musicales autonomes se multiplient. Soit le droit français évolue vers le droit anglo-saxon du copyright et favorise ainsi les industriels qui produisent ou détiennent ses machines. Soit le droit se dirige vers la création d’un droit des robots. Une option en mode poupée russe, puisqu’un droit des robots demanderait de statuer sur ses droits et responsabilités en se tournant soit vers son fabricant, son concepteur initial, son utilisateur ou son propriétaire. « Là, nous en sommes encore au stade de la fiction », prévient Jérôme Giusti.

« Une bonne chanson reste un objet très rare »

Pour l’heure, les robots compositeurs en sont au stade de la genèse. Et leur conception se fait en mode prudence. Le logiciel du Sony CSL garantit, par exemple, l’absence de tout extrait significatif d’une œuvre existante pour éviter le plagiat. Et selon François Pachet, l’usage de l’intelligence artificielle constitue davantage « une méthode de travail » : « Le but n’est pas de faire du tout automatique, nous n’y croyons pas. Une bonne chanson reste un objet très rare. »

 

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Pierre Creff, Vinylit.co, intelligence artificielle

Pierre Creff, Vinylit.co

Faire du neuf en gardant le meilleur du vieux. Passionnés de musique et de vinyles, quatre associés venus des Bouches du Rhône ont créé une plate-forme web qui vend des titres indépendants et permet de commander des disques vinyles gravés à façon. Le témoignage de Pierre Creff, co-fondateur de Vinylit.co aujourd’hui installé à Paris et incubé au Cargo : « Sans le numérique, nous n’aurions pas pu monter notre projet de vinyles à commander. Il aurait fallu récupérer des bandes sons, originales ou non, et les remasteriser avant de les graver sur un disque. C’était impossible techniquement et financièrement. Aujourd’hui, des personnes peuvent nous envoyer leurs morceaux en wav 24-bits et nous gravons un disque. Sinon, elles sélectionnent parmi les 7000 titres issus de labels indépendants de notre plate-forme et elles passent la commande en ligne. Côté intelligence artificielle, nous imaginons pouvoir faire un jour de la recommandation automatique en fonction des goûts des clients. Pour l’instant, nous avons juste installé un chatbot : Beber le disquaire. Il est accessible sur FB. Il n’est pas encore très performant. Il apprend plutôt en homme-machine learning. Mais plus nous avons de questions à arriver et plus il apprend à y répondre. Il nous sert plus à faire de la promotion  car nous n’avons pas constaté de hausse des ventes depuis qu’il fonctionne. »

**François Pachet intervient à Rennes, le 2 décembre, lors de la Digital Tech Conférence.