Publié le 28/06/2016
2016 verra se réaliser à la fois une évaluation des pôles de compétitivité et, suite logique, une mise à jour des feuilles de routes stratégiques. La précédente feuille de route du pôle Images & Réseaux avait mis en relief le passage des technologies numériques à l’économie numérique (où produits et services étaient délivrés sous forme numérique), puis à la société numérique (où toute activité de chacun se trouvait sinon transformée tout au moins impactée par l’usage des technologies numériques). Si à l’issue des deux premières phases, Images & Réseaux avait démontré avec succès sa maîtrise des processus de R&D collaborative associant laboratoires académiques et entreprises, il nous faut aujourd’hui imaginer une nouvelle voie pour aller jusqu’à l’innovation, jusqu’au produit innovant, dans la poursuite d’un redressement de la croissance, fille de l’innovation. Or, que constatons-nous ? Que l’innovation est un processus en soi. Tous les médias ont aujourd’hui leur rubrique « innovation » avec ses rendez-vous rituels (CES de Las Vegas par exemple). Que l’innovation se conçoit, s’organise, se met en place comme tout autre processus. Jean Claude Fraval nous propose aujourd’hui une revue des différentes formes d’innovation, en prenant en considération qu’aujourd’hui l’innovation est l’un des moteurs de l’information.
Aujourd’hui l’innovation est la résultante de plusieurs composantes, qui peuvent être d’inégales intensités mais qui sont ou seront toujours présentes. Bien évidemment il y aura l’innovation technologique (terme ultime de la chaîne découverte-invention), qui pourra elle-même être à l’origine ou une conséquence de l’innovation mais il y aura également l’innovation marketing (nouvelle approche de la relation client, de l’expérience client), l’innovation d’usage (nouvelle approche de l’expérience utilisateur), l’innovation dans le domaine du modèle économique, l’innovation dans le processus de production, de distribution, … . Autrement dit l’innovation, celle qui est couronnée de succès est un processus complexe qui ne peut pas se résumer à la seule innovation technologique, même si cette dernière en est l’alpha et/ou l’oméga.
Les TIC (4 à 5% du PIB) irriguent un très grand nombre de secteurs d’activités, qu’il s’agisse de l’économie numérique proprement dite (12% du PIB) où produits ou services sont délivrés sous forme numérique (presse, édition, vidéo, cinéma, télévision, jeux, réservation, …) ou de la société numérique (60% du PIB – estimation de la DGT / Direction Générale du Trésor/ en 2012-) où il s’agit de mesurer l’impact des TIC sur l’ensemble des activités quotidiennes de tout un chacun (en termes de PIB impacté). Ces effets d’externalité sont sensibles aujourd’hui dans plus en plus de secteurs d’activité, jusqu’à en modifier la cartographie, jusqu’à en modifier l’existence (Uberisation de l’économie).
Or rappelons-nous que dans le classement des pays les plus avancés, ceux qui conjuguent forte intensité de l’écosystème producteur et forte intensité des écosystèmes utilisateurs figurent en tête (notamment les pays nordiques). Il y a là une très forte corrélation entre l’indice eReadiness et la conjonction des intensités des écosystèmes producteurs et utilisateurs. Un indice révélateur nous montre que si xx% des internautes français achètent en ligne, seulement yy% des entreprises françaises vendent en ligne. Où se font les achats des internautes français ? Via quelles plateformes se tournent-ils pour acheter ?
Si l’innovation technologique ne va pas vers les usages, ces leaders sont-ils innovants sur le plan technologique, notamment dans le champ des TIC ? Autrement dit les leaders des différents secteurs d’activité sont-ils en mesure de susciter, d’organiser, de prendre en charge l’innovation technologique, notamment dans le champ des TIC, dont ils sont besoin. Bon nombre de ces secteurs côtoient des pôles de compétitivité couvrant les filières correspondantes, des IRT – Instituts de Recherche Technologique -. Le premier constat est celui de l’emiettement des structures qui soutiennent, accompagnent l’innovation. Depuis la recherche fondamentale où règne la découverte, au produit innovant, en passant par l’invention, les organes se multiplient. Des laboratoires académiques, aux pôles de compétitivité, aux IRT, aux métropoles FrenchTech, sans compter les SPL, les grappes, les LabEx, …, les plans NFI, tous et toutes apportant leurs lots de guichets de financement, financement locaux, régionaux, nationaux, européens, il faut compter sur un phénomène de division et non pas de multiplication. Le financement de la R&D&I (Recherche, Développement, Innovation) ne se multiplie pas avec les organes qui en sont chargés, mais au contraire se partage entre ces différents organes. En conséquence, chaque organe voit se réduire son empreinte de financement au fur et à mesure de la création de nouveaux organes, chaque laboratoire, chaque entreprise se voyant alors en charge de multiplier les dossiers qui sont soumis à des guichets de plus en plus nombreux mais finançant chacun des projets de plus en plus petits.
L’innovation est devenue un spectacle. Le spectacle du Monde en évolution. « Nouveau » est le mot le plus utilisé dans les campagnes publicitaires, qu’il s’agisse d’un nouveau produit, d’un nouvel emballage, d’une nouvelle recette, … . Tout est présenté comme nouveau et s’il ne l’est pas, on ne le présente pas. Dès lors que les projecteurs sont braqués sur quelque chose, il faut en être et donc la nouveauté est le sésame. D’où une course à la nouveauté, et comme tout ne marche pas, il faut inventer (voire recommander) le droit (et bientôt le devoir) à l’échec. Nous connaissions les « diseux » (ceux qui disent) et les « faiseux » (ceux qui font), il convient maintenant d’y ajouter les « montreux » (ceux qui montrent, autrement dit ceux qui ne disent pas ce qu’ils font et ceux qui ne font pas ce qu’ils disent, mais qui montrent).
Aujourd’hui l’innovation doit être promue, diffusée, connue. Qu’il s’agisse d’un produit, d’un service destiné au grand public (exemple : l’iPhone 6), et là c’est une obligation pour en accroître l’audience ou d’un produit ou service à diffusion plus restreinte (exemple : la conquête spatiale « à la Elon Musk ») et là il s’agit de promouvoir le promoteur, notamment pour son financement.
Autre champ du spectaculaire, les startups et leurs berceaux (les incubateurs) avec en tout premier lieu la mythique « Silicon Valley ». Quel pays, quelle ville n’a pas l’ambition d’avoir sa « Silicon Valley » ? En se rappelant qu’une approche de ce type se doit de « cumuler » une demande, une offre, une formation (traduire l’expression des besoins – la demande –, en solutions – ‘l’offre -), un financement, la concentration géographique étant par ailleurs un facilitateur, à la fois en termes d’interactions mais surtout en termes de taille critique.
L’innovation[1]est aujourd’hui en phase de résonnance. Plusieurs phénomènes se situent en simultanéité et entre en résonnance pour donner lieu à une véritable rupture (révolution). La part croissante des technologies numériques qui s’intéressent non seulement aux seuls équipements mais également aux produits et services qui ne sont plus délivrés que sous format numérique (musique, photo, vidéo, cinéma, jeux, presse, livres, …) et également aux faits et gestes quotidiens de tout un chacun qui sont de plus en plus fréquemment impactés par les technologies numériques (transports, spectacles, commerce, location de résidence, de véhicules, administration, santé, tourisme, …), la disponibilité croissante de moyens de communication, la possibilité croissante donnée à chacun d’entre nous d’interagir avec tout le monde, … sont autant de ces phénomènes qui entrent en résonnance. Cette rupture est aujourd’hui sensible, puisque les contenus, les applications, les services n’ont de limites que temporelles, celles de leur durée de vie, celles de leur substitution par d’autres contenus, d’autres applications, d’autres services. Ceci se traduit par la nécessaire période de transition entre l’économie traditionnelle et l’économie numérisée, période plus ou moins intense et qui va fortement dépendre de l’état initial. Plus les écosystèmes « utilisateurs » sont importants, plus l’écosystème « producteur » sera contributeur. Autrement dit la rupture génère la rupture par un effet d’amplification, donc la transition génère la transition. Dans ces circonstances il ne faut pas s’étonner que l’innovation en soit et la cause et la conséquence.
[1] En 2008, le CAE (Conseil d’Analyse Economique) dans un rapport de Thierry Madiès et Jean Claude Prager, rapport intitulé « Innovation et compétitivité des régions » listait les faits stylisés suivants :