Publié le 26/09/2017
Notre modèle de santé est en pleine mutation. Nous sommes en route vers une médecine 4P, qui sera prédictive, préventive, personnalisée et participative. Une transformation nécessairement numérique qui prend l’allure d’un chantier de grande envergure. La conférence Numérique & Santé du 21 septembre à Nantes en dessinait les contours.
Comme la journée le confirmera, toutes les branches du numérique sont impliquées dans la transition du système de santé : réseaux, stockage, cloud, Internet des objets, traitement de l’image et des données, intelligence artificielle, services web, sécurité… Si bien que les acteurs du numérique seraient bien inspirés de dresser des antennes en direction du médical. C’est d’ailleurs le but du cycle de conférences Numérique & Santé que de mêler ces deux mondes qui ont tout intérêt à se parler.
L’étape du 21 septembre avait investi les locaux du Groupe Confluent à Nantes, un établissement hospitalier privé également partenaire de DigitalForLife. Ce dispositif et le cycle de conférences associé sont organisés conjointement par Images & Réseaux et Atlanpole Biothérapies pour favoriser le croisement des filières numérique et santé en Bretagne et Pays de la Loire. Thème du jour : L’impact du numérique sur le développement de la médecine 4P.
Pour planter le décor, Antoine Magnan, professeur de pneumologie et praticien au CHU de Nantes. Pour lui, la médecine 4P est “une révolution médicale attendue”. D’autant que le contexte nous y contraint : augmentation de l’espérance de vie, du nombre de personnes âgées, de maladies chroniques… Et donc, une croissance exponentielle des dépenses de santé. Au final : “L’augmentation de l’espérance de vie est une chance qui nous oblige à développer des stratégies où les sujets sont en bonne santé. Être malade, c’est ça qui coûte cher.”
Par conséquent, la médecine doit “changer de paradigme”. Il faut déplacer le curseur en direction du prédictif. Traiter le sujet avant qu’il ne développe la maladie, “y compris en modifiant le mode de vie”. Le dialogue médecin-patient que nous connaissons aujourd’hui se transformera en un dialogue “prévenant – prévenu“, parce que : “Quand on sait prédire, on sait agir.” Cette réorientation de l’effort de santé vers l’amont est favorisée par une série d’avancées technologiques : la génomique aujourd’hui de plus en plus accessible, l’utilisation des cellules souches, les progrès spectaculaires de l’imagerie… Et bien sûr la révolution digitale avec notamment la capacité à traiter des données massives et à modéliser.
Car la médecine est plus que jamais multidisciplinaire. Les mathématiques et l’algorithmique ont pris place à côté des disciplines médicales traditionnelles. Également les sciences humaines tant l’approche devient systémique : on considère le patient comme un tout dans lequel toutes les fonctions interagissent. Y compris avec l’environnement : la nourriture, l’activité physique, le cadre de vie… Au centre de la démarche, les données jouent un rôle central : “Il faut que professionnels de santé s’en saisissent parce que sinon, ce seront les acteurs de l’Internet qui le feront.”
Les données étaient justement au centre de l’intervention suivante. Pierre-Antoine Gourraud, professeur des universités, généticien et praticien au CHU de Nantes, mène des recherches à la fois sur place et aux États-Unis pour comprendre les processus à l’origine de la sclérose en plaque. Une maladie chronique “extrêmement complexe”, pour laquelle on utilise une quinzaine de traitements à coup d’observations cliniques : “On essaie et on voit.” D’où la question au centre des recherches entreprises : “Comment utiliser les données pour accélérer et trouver le meilleur traitement pour le patient ?”
La nouvelle approche, qualifiée de “médecine de précision”, utilise des technologies “non spécifiques à la médecine” comme le big data, le machine learning, la modélisation mathématique… Principal résultat, une plateforme MS BioScreen dont le principe de fonctionnement, “très simple”, s’apparente à la courbe des poids utilisée par le pédiatre : “Elle positionne les données du patient sur une courbe établie à partir d’une population de référence.” Il convient de “faire confiance aux données”. Mais attention : “Ce n’est pas la machine qui décide, elle est là pour prolonger l’intuition.”
Pour aller plus loin, le prochain chantier sera de “développer la base de références”. Et puis faire preuve de patience : “Nous sommes sur un cycle long. Il faut de 5 à 10 ans pour aboutir à des résultats reconnus.” Pierre-Antoine Gourraud conclut par un plaidoyer en faveur de l’ouverture des données et ce qu’il appelle la Solidatarité : “Il faut donner une seconde vie aux données… Réutiliser les données pour mieux soigner dans le futur.”
À suivre, l’enseignant-chercheur Jérémie Bourdon, présentait le LS2N, Laboratoire des sciences du numérique de Nantes. Notamment pour inciter la recherche médicale à faire appel aux compétences qu’il réunit. Le laboratoire représente une puissance de recherche considérable – 450 chercheurs – dont une dizaine d’équipes concernées de plus ou moins près par la santé. Parmi les spécialités : la bio-informatique, le traitement données massives, la modélisation de systèmes complexes notamment.
Puis c’était au tour de Christophe Quémeneur, directeur statistique de la CPAM de Loire Atlantique, de donner le point de vue de l’assureur sur les transitions en cours. Au passage il note qu’il faudrait revoir le vocabulaire et parler d’assurance santé plutôt que d’assurance maladie. Quelques chiffres : un volume annuel de 3,4 milliards d’euros de versement aux assurés et une tendance à la hausse des dépenses de santé située à 4% l’an. Principales préoccupations : “Assurer la pérennité du système et le financement des innovations.” Pour réduire les coûts, il faut simultanément tirer sur plusieurs cordes. Jouer à la fois sur les comportements des assurés et sur les pratiques des médecins. Le statisticien encourage “les partenariats avec l’écosystème local”. Même s’il est conscient qu’il existe un problème réglementaire : “Le prochain enjeu, c’est d’ouvrir les données.”
Les données auront été le fil rouge de la journée. Puis qu’il en était une nouvelle fois question à propos cette fois d’études populationnelles au Québec. La présentation était assurée par Jean-Michel Garro de Québec International. Il exposait les travaux menés au sein de l’accélérateur Hacking Health de Montréal. Où l’on mise tout particulièrement sur l’intelligence artificielle pour effectuer un suivi de fond des populations et identifier les conditions qui font que “des personnes s’approchent de la maladie”. On cherche en particulier à “identifier des biomarqueurs numériques”, y compris à partir d’objets connectés comme les accessoires portés sur soi (wearables).
La dernière présentation revenait à Stéphanie Chevalier et Pierrick Martin du CHU de Nantes. L’objet : un appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé en direction des startups et entreprises innovantes. Cet appel est lié à l’édification d’un nouveau CHU à Nantes (ouverture en 2026), et il concerne aussi deux sites parisiens de l’AP-HP. Attention la date butoir est fixée au 13 octobre prochain. Pour autant, pas de panique, on peut faire court : “Il faut proposer un concept. Intriguer et donner envie…”
Côté startups, la journée était l’occasion de quelques présentations éclair et rencontres sur les stands. En particulier deux toutes nouvelles pousses. L’une nantaise a développé Meyko, le compagnon connecté qui prend soin des enfants asthmatiques. L’autre rennaise, Enancio, dont la spécialité est l’analyse de données massives en biologie. À noter que le réseau des métropoles French Tech dispose à Nantes (et aussi à Brest) d’un réseau thématique HealthTech qui inclut BioTech, MedTech et e-santé.