QUESTIONS A … Dominique CHAUVEAU, AMIAD

Publié le 03/04/2025

Dominique CHAUVEAU est manager partenariats et référent Cyber au sein de l’Agence Ministérielle pour l’IA de Défense. Il a accepté de répondre à nos questions en lien avec la techno conférence Défense Augmentée – IA, Cyber & Réseaux en première ligne, organisée le 27 Mars dernier à l’ISEN, à Brest. 

 

 

Entretien.

Pouvez-vous présenter votre domaine d’expertise / structure rattachée ? Quel est votre intérêt sur ce sujet précis ?

Mon domaine d’expertise est plutôt celui de la cyberdéfense, mais j’ai construit mon parcours entre la sûreté, la cyberdéfense, et l’IA.

Après quelques années dans le domaine cyber et ses différents domaines de lutte, en 2017, j’ai été nommé chargé de mission IA puis responsable du premier département d’experts IA de la DGA. Incubé au sein des équipe cyber de DGA Maitrise de l’Information à Bruz ce département IA a dès le début porté une expertise transverse en IA, au profit de l’ensembles des métiers de la DGA.  Fin 2020, je réintègre les équipes cyber comme adjoint technique à la sous-directrice cyber, en charge des sujets IA & CYBER, mais également en charge des relations avec l’écosystème numérique et Cyber. C’est donc tout naturellement qu’en 2024 j’ai rejoint la toute jeune AMIAD en tant que manager partenariats et référent cyber.

Quel est l’objectif principal de la création de l’AMIAD ?

L’Agence Ministérielle pour l’IA de Défense (AMIAD), créée le 1er mai 2024, est la première mesure concrète de la stratégie IA du ministère des Armées annoncée en mars 2024.

L’AMIAD a pour mission d’accélérer le développement, l’intégration et le déploiement à grande échelle des technologies de l’IA au sein du ministère. Son objectif principal est de transformer le ministère en un acteur majeur de l’IA de défense, capable de déployer rapidement des solutions opérationnelles performantes et fiables.

L’AMIAD coordonne et supervise tous les projets d’intelligence artificielle (IA) au sein du ministère des Armées, en développant une expertise de pointe dans ce domaine. L’AMIAD investit également dans des infrastructures dédiées à l’IA et travaille à la définition de politiques de défense pour cette technologie, en tenant compte des enjeux éthiques et de sécurité.

Elle est constituée de 2 pôles :

  • Un pôle technique, basé à Bruz (35), sur le site de la DGA-Maîtrise de l’Information ;
  • Un pôle recherche, basé à Palaiseau, sur le campus de l’Ecole Polytechnique.

L’AMIAD compte aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs et accueillera 300 agents d’ici fin 2026 sur l’ensemble de ses pôles.

Quels sont les principaux enjeux liés à l’intégration de l’IA ? Ou autrement dit quel est l’apport de l’IA dans les opérations de défense ?

L’intelligence artificielle est en train de profondément modifier le paysage des systèmes d’armement et de commandement militaire. Son intégration à différents niveaux, de la conception à l’utilisation, promet de révolutionner la façon dont nous pensons et mettons en œuvre nos capacités militaires. Nous distinguons trois grandes catégories d’applications de l’IA dans le domaine militaire :

  • IA « embarquée » qui se concentre sur l’amélioration des performances des systèmes d’armes, avec des cas d’usage comme l’amélioration de l’exploitation des données de capteurs (imagerie, acoustique, électromagnétique), l’aide à la conduite des effecteurs (conduite de tirs, drones, robotique en général) ou la gestion optimisée des ressources (munitions, carburant). C’est aussi dans ce segment que figure le combat collaboratif avec la mise en réseau intelligente des différents capteurs et effecteurs du champ de bataille.
  • IA des opérations qui vise à améliorer la prise de décision et la coordination des opérations militaires à un niveau stratégique. En analysant des données massives provenant de diverses sources, l’IA pourra aider à anticiper les menaces, à planifier des opérations complexes et à fournir aux commandants une vision globale de la situation.
  • IA de l’organique qui optimise les processus administratifs et logistiques, en couvrant des domaines comme le travail d’état-major, les ressources humaines, la santé, les finances ou les infrastructures.

Quelle place pour l’IA dans les futurs systèmes d’armement et de commandement ?

L’IA est considérée comme un véritable game changer au profit de la supériorité opérationnelle de nos forces, dans l’ensemble des domaines et des milieux de lutte. Elle doit aussi être considérée comme une menace du fait de son accessibilité et de l’utilisation totalement débridée que pourraient en faire nos compétiteurs. L’IA est donc un facteur déterminant pour l’avenir de la défense. Ceux qui sauront l’exploiter au mieux auront un avantage stratégique décisif. Nous devons donc nous mettre en capacité d’équiper nos forces.

Réussir l’intégration de l’IA dans le domaine de la défense nous oblige à relever un certain nombre de défis. J’en mentionnerais ici particulièrement deux :

  • Le défi de l’architecture des systèmes d’armes : les systèmes d’armes, conçus pour durer des décennies, sont complexes et interconnectés. Leur architecture traditionnelle, privilégiant la minimisation des risques, peine à s’adapter à la rapidité des avancées en IA. Il est donc crucial de repenser leur architecture pour permettre une intégration agile et des mises à jour régulières de solutions d’IA.
  • Le défi de la donnée : bien que des progrès aient été réalisés, la donnée au sein du ministère reste fragmentée et difficilement accessible. Pour développer efficacement l’IA, il est crucial de la centraliser, de la partager, de la qualifier et de la rendre accessible à tous les acteurs impliqués.

Comment l’AMIAD aborde-t-elle les défis liés à la cybersécurité dans le développement et l’intégration de l’IA ?

L’AMIAD est impliquée auprès de l’ANSSI dans la rédaction d’une « analyse de risque des systèmes d’intelligence Artificielle », et elle participe, également avec l’ANSSI, aux travaux sur « évaluation des IA » où sont également impliqués les Centres d’Évaluation de la Sécurité des Technologies de l’Information (CESTI).

Plus globalement, nous avons pour objectif de livrer aux forces des « IA de confiance » et menons en interne de nombreux travaux qui englobent donc :

  • L’évaluation et la qualification des IA: l’IA fait-elle bien ce pour quoi elle a été conçue, ses performances sont-elles au rendez-vous, est-elle « sûre », indépendamment de toute menace externe ?
  • La « cybersécurité » des IA: quelles sont les vulnérabilités des IA et comment ces IA se comportent face à une menace externe ?

En lien avec de nombreux acteurs de l’écosystème, nous participons au groupe de travail « IA de confiance » du pôle d’Excellence Cyber.

Au-delà de la question posée ici, l’AMIAD intervient également avec les équipes cyber de la DGA et du COMCYBER sur le volet « IA pour la cyber » en travaillant sur les apports de l’IA dans les différents domaines cyber que sont la cyberprotection, les luttes informatiques défensive, offensive et d’influence.

On évoque la dualité des technologies, comment envisagez-vous la collaboration avec les entreprises, les structures de recherche, d’enseignement et de formation ?

L’IA est une technologie duale, et la capacité d’innovation est aujourd’hui très largement portée par la communauté civile. Pour capter et profiter de cette innovation, le ministère des armées a besoin de s’appuyer sur un écosystème performant.

En Bretagne, le pôle technique de l’AMIAD souhaite pouvoir s’appuyer sur un écosystème régional et en favoriser le développement. Dans cet objectif, l’AMIAD peut profiter d’un écosystème numérique et cyber breton déjà très riche (PEC, CREACHLABS, ECW, …), et peut également s’appuyer sur des projets soutenus par France 2030 comme le projet TIARe sur la formation ou le Cluster SEQUOIA. L’AMIAD profitera également de l’implantation de son pôle recherche sur le campus de L’Ecole polytechnique à Palaiseau, au cœur de l’écosystème du plateau de Saclay, pour développer les collaborations académiques.

Sur le volet industriel, l’écosystème dans le domaine de l’intelligence artificielle s’articule autour de typologies d’acteurs à géométrie variable : grands industriels de défenses, PME, start-up.. Pour les projet d’IA le ministère s’appuiera sur trois modes de réalisation : le “faire” (maîtrise d’œuvre étatique), le “faire-faire” (délégation à l’industrie) et le “faire avec” (collaboration Etat-industrie). Une politique industrielle pour l’IA de défense est en cours d’élaboration afin de définir les conditions d’application de ces différents modes.