Publié le 27/06/2016
Salle comble, ce 21 juin, à Angers, pour la journée “Santé et objets connectés”. Professionnels de santé, startups, institutions…, le sujet passionne d’autant que l’offre et l’adoption par le public progressent rapidement. Restent de nombreux obstacles à surmonter au plus vite, juridiques, économiques et d’organisation.
Troisième étape d’un cycle de conférences sur l’hôpital numérique organisé conjointement par Images & Réseaux et Atlanpole Biothérapies, la journée se tenait dans le Fab Lab hyper-équipé et dédié à l’IoT qu’est la Cité de l’objet connecté d’Angers. Un cadre tout désigné pour le thème du jour : “Les objets connectés appliqués à la santé”. Au programme, un panorama du marché, des exemples et retours d’expérience, une table ronde sur les modèles économiques et une autre sur les évolutions du cadre juridique et réglementaire. Également au menu, quatre projets européens accélérés par le programme Fiware, dont les présentations feront l’objet d’un article à suivre.
Comme s’ils s’étaient donnés le mot, plusieurs intervenants ont commencé par cette question : qu’est-ce qu’un objet connecté de santé ? Leur intention : faire la distinction entre les objets destinés aux consommateurs, qui relèvent du confort ou du bien-être à l’exemple du Quantified Self, et ceux destinés aux patients qui ont un objectif avéré de santé que ce soit en prévention, soin ou suivi.
La différence est d’importance, car elle conditionne la réglementation qui s’applique, beaucoup plus contraignante dans le cas de l’objet connecté agréé. Et aussi le modèle économique si l’objet connecté, reconnu dispositif médical, est pris en charge par la sécurité sociale ou les assurances complémentaires. Sauf que la frontière entre santé et bien-être n’est pas toujours évidente, comme l’ont souvent montré les débats et questions du public au cours de cette journée ciblée santé.
Brigitte Wallers et Jean-Christophe Coillard, de la société Linkidoc, commençaient par un panorama du marché de l’objet connecté de santé qu’ils voient résolument orienté à la hausse. D’un côté, la demande augmente du fait du vieillissement de la population, de l’essor du maintien à domicile et de la multiplication des maladies chroniques, avec aussi une meilleure adhésion des patients grâce à la généralisation des usages numériques au quotidien.
De l’autre, l’offre en outils communicants, à l’exemple des tensiomètres, glucomètres connectés, etc., ne cesse de se développer. Les intervenants distinguent deux logiques industrielles : les outils classiques communicant par internet et les nouveaux outils. Il apparaît que les industriels misent davantage sur le classicisme que sur la nouveauté et qu’ils privilégient les maladies chroniques en axant leur offre sur les spécialités cardiologie, endocrinologie, pneumologie…, au détriment de solutions généralistes. Du point de vue technique, la tendance est à s’appuyer sur les périphériques du marché avec le risque “d’être prisonniers des fabricants de smartphones et tablettes”.
Les échanges avec la salle mettent en évidence “un retard en France” sur le sujet. Avec pointé du doigt, notre système d’assurance maladie : “quand est-ce que la CNAM va bouger plus vite ?” Le décalage entre le rythme des avancées techniques et celui des tests à grande échelle semble toutefois en partie inévitable : “Les études d’impact vont beaucoup moins vite que la technologie.” Ce qui explique, entre autres, que beaucoup de startups changent de stratégie au fil du temps “pour revenir du médical vers le bien-être”.
Comment le professionnel de santé fera-t-il le choix d’un dispositif médical connecté ? C’est la question posée par Véronique Tremblay, de Digital Health. Elle commence par lister les avantages des outils utilisés à domicile pour lesquels elle voit plus de facilité d’utilisation, une meilleure traçabilité, plus de fiabilité : “on connait tous le diabétique qui remplit sa fiche de suivi la veille du rendez-vous chez le médecin”. Également des possibilités d’alerte, un meilleur partage de l’information entre les différents intervenants, moins d’abandons de traitement : “quand on mesure soi-même, on a une meilleure vue sur sa santé”. L’outil doit toutefois permettre de connaître le contexte de la mesure “pour pouvoir interpréter les données”.
L’intervenante suggère au pharmacien d’ajouter dans son officine “un corner santé connectée”. C’est pour lui “une opportunité de créer des services d’accompagnement du patient”. Il doit pouvoir faire preuve de proposition, par exemple “conseiller une application mobile”. Car le pharmacien connait bien le patient, notamment les personnes âgées et patient chroniques, et surtout en milieu rural.
À suivre, Gérald O’Brien, de Domicalis, se montre très critique sur les objets connectés de santé actuellement sur le marché. Sa société commercialise une plateforme de coordination des professionnels de santé dans le cadre du maintien à domicile des patients. Pour lui, les dispositifs médicaux connectés coûtent extrêmement cher, leur durée de vie est très courte, surtout “seuls 6% des objets connectés sont jugés sérieux, ça nettoie le marché”. La solution passe par le jugement du professionnel : “il faut que le médecin puisse prescrire un objet connecté même non remboursé, il sera toujours plus fiable qu’un objet acheté en grande surface.”
Georges Lefthériotis, du CHU d’Angers, rend compte de deux expériences d’objets connectés qu’il a menées. Toutes deux positives même s’il met en garde sur le fait que la santé “c’est d’abord une affaire de personnes” et qu’il existe des enjeux éthiques “on ne peut pas tout confier au patient”. La première concerne l’artériopathie. La maladie provoque des douleurs dans les jambes à partir d’une certaine quantité d’activité, qu’il est essentiel de mesurer. Et pour laquelle il a fallu développer une solution “avec des capteurs” car les actimètres GPS du marché “ne sont pas très fiables”, notamment en intérieur. L’autre expérience est relative au monitoring par automesure à domicile de patients souffrant d’hypertension artérielle.
Positif également le retour d’expérience de Jawad Hajjam, de Centich, à propos du projet E-care de plateforme intelligente de suivi de l’insuffisance cardiaque à domicile. Cette plateforme est déjà commercialisée en Suisse, “en France, c’est un peu plus compliqué”. Une commercialisation qui ne pose pas problème : “Nous sommes sur une modèle économique possible, puisque c’est l’hôpital qui investit dans du monitoring à domicile.”
La table ronde à suivre, animée par Simon Boisserpe, d’Atlanpole, se penchait justement sur cette question des modèles économiques. Première à intervenir, Laurence Browaeys, de l’Agence régionale de santé Pays-de-la-Loire, fait valoir que “le bien santé est porté par la solidarité nationale”, ce qui donne aux autorités un droit de regard sur “ce qui peut être supporté par la collectivité ou pas”. L’objet connecté pourra-t-il être remboursé ? “Il y a des choses qui se font déjà”, répond la représentante de l’ARS, “mais à titre expérimental. La certification, l’autorisation prend nécessairement du temps.”
“On améliore en avançant”, constate Pierre Brun, de Harmonie Mutuelle, à propos de la prise en charge des objets connectés. Pour les adhérents de la mutuelle, celle-ci prend trois formes : des forfaits dédiés de complémentaire santé, une inclusion dans l’offre globale pour une liste d’équipements sélectionnés et, pour le reste, un guide d’information et de conseils. Pour Valérie Claude-Godillat, d’Audencia, on n’avance pas assez vite en France d’abord par manque de “fonds mobilisés sur la santé”. D’autres pays, les États-Unis, le Japon mais aussi le Royaume-Uni ou l’Espagne sont davantage “moteurs sur le sujet”. La filière bouge, notamment sous l’impulsion de startups qui “entrent par le champ non réglementé” mais pourraient influencer l’ensemble du secteur. Quant à la question sur une possible ubérisation de la santé, la réponse la plus tranchante est venue de l’assistance : “On n’accepterait pas un pilote Uber dans un avion.”
Une deuxième table ronde, animée par Christian Le Mouellic, We Network, concluait la conférence en se penchant sur les enjeux juridiques et réglementaires des technologies numériques et objets connectés en santé. Ces objets connectés le plus souvent par liaisons radio peuvent-ils présenter eux-mêmes un caractère de dangerosité ? En la matière, rien de spécifique au domaine de la santé assure Guylaine Raphose Zou, LCIE Bureau Veritas : “On baigne dans les radiofréquences… D’autres réglementations s’appliquent.”
La confidentialité et la sécurité des données produites sont deux points à surveiller de près, selon Éric Peres. Pour le représentant de la CNIL, le problème des données est aussi un enjeu de compétitivité : “L’hébergement en France ou à l’étranger n’est pas le problème. Ce qui compte, ce sont les principes de sécurité et de transparence.” Sur quoi, l’avocate Cécile Théard-Jallu rebondit par un conseil : “Il faut savoir se servir des contraintes réglementaires comme une arme marketing.”
Sur les réglementations qui s’appliquent, il ressort des débats un sentiment global de retard sur les usages avec, plusieurs fois évoquée, l’attente de textes officiels notamment européens. Selon l’objet du dispositif médical, la classification sera plus ou moins évidente. Souvent, “elle demande interprétation” constate Cécile Théard-Jallu. La réglementation qui s’applique dépend du marché géographique visé, avec un surcroît de complexité “quand on travaille avec des équipements étrangers”. Cette dernière remarque est de Vincent Tharreau, CEO de la startup Kiplin.
La qualité des débats du jour appelle une suite tant le sujet est vaste. Le cycle de rendez-vous sur l’hôpital numérique se poursuit par une nouvelle conférence sous l’angle “La place du numérique dans la relation : professionnels de santé-patients”. Ce sera le 27 septembre, à Rennes. S’inscrire.
Par ailleurs un nouvel appel à défis DigitalForLife vient d’être lancé. Candidatez avant le 15 septembre 2016.