Publié le 22/07/2016
Le numérique transforme le monde, mais dans quelle direction ? Alors qu’une transition écologique s’impose, le numérique est-il du côté du problème ou du côté des solutions ? Daniel Kaplan, de la FING, donne des éléments de réponse. Première conférence d’une série de trois sur le thème des transitions, donnée début juillet dans le cadre du Forum des usages coopératifs de Brest.
Daniel Kaplan est délégué général de la FING, Fondation pour l’internet nouvelle génération, et membre du CNNum, le Conseil national du numérique. Il est aussi l’un des initiateurs du programme Transitions au carré (Transitions2), qui vise, au travers d’une plateforme numérique, à réunir “les acteurs, projets, outils, méthodes, connaissances et imaginaires” faisant le lien entre numérique et écologie. Il intervenait à Brest, dans les locaux de Télécom Bretagne, en ouverture de la journée du 6 juillet du Forum des usages coopératifs.
La révolution numérique et la transformation écologique vers un développement soutenable sont, selon Daniel Kaplan, “les deux grandes transitions contemporaines”. Entre lesquelles il faut jeter des ponts, car ça ne va pas de soi. Par exemple, “le numérique pourrait avoir changé en profondeur notre manière de se déplacer”, sauf que la voiture provoque “tout autant d’embouteillages qu’auparavant”. Preuve qu’il faut, au-delà des initiatives et changements de comportement individuels, s’intéresser aux “grands systèmes complexes” et à leurs interactions.
Entre les deux transitions considérées, il existe à la fois “une proximité et des tensions”. Concernant la transition écologique : “on connait le but, mais pas le chemin”. Les objectifs sont notamment ceux fixés par les différentes COP, dont la réduction des émissions de gaz à effets de serre. D’autant que, dans le même temps, la population augmente et qu’une bonne partie d’entre elle, dans les pays émergents, “est dans une phase de rattrapage”. La transition écologique est un passage obligé : “nous n’avons pas vraiment d’options.”
Si l’objectif écologique est tracé, ce n’est pas le cas du numérique qui “a une capacité à tout changer, mais pas de but particulier.” D’où l’approche Transitions2, qui propose une finalité commune en mettant “les forces de la transition numérique au service de la transition écologique dont nous avons besoin.”
D’abord se pose la question de l’impact écologique du numérique en lui-même. Par son côté “léger, immatériel”, il se sentait au début “absous des questions écologiques”. Aujourd’hui, on sait combien son empreinte écologique est marquée. À cause de la consommation d’énergie que le numérique occasionne, mais pas seulement. “C’est plus dans la fabrication de l’outil que sur l’usage que se situe le problème.” Ce sont les terres rares, l’impact des procédés de fabrication, les difficultés de recyclage… “Conservez votre vieil appareil le plus longtemps possible”, conseille Daniel Kaplan.
D’après lui : “Le numérique n’est pas la solution puisque la courbe de son développement correspond à la courbe des émissions de gaz à effet de serre, même s’il n’en est pas la cause.” S’il permet des gains de productivité, elles ne sont pas à la mesure du problème à résoudre. “On va gagner 20% de ressources là où il faut qu’on divise par 4 ou 5. Le changement dont on parle n’est pas à la portée d’un simple ajustement technique. Il faut le faire, mais ça ne suffit pas.”
D’autant que, lorsque nous faisons des économies, nous avons la mauvaise habitude de réinvestir le gain en davantage de consommation. C’est le fameux “effet rebond”, qu’on peut illustrer par la formule : moins le véhicule est gourmand et plus on fait de kilomètres. Si bien que le numérique n’a “aucun effet sur l’écologie, tant que l’on reste dans une logique de ressources illimitées”.
Pourtant les apports du numérique en faveur d’une vision soutenable du monde sont nombreux. C’est d’abord l’information : “Nous avons énormément de données sur le réchauffement.” C’est encore la consommation collaborative avec le développement du covoiturage (BlaBlaCar…) ou des transactions entre particuliers (Le bon coin…). Malgré des dérives possibles, ces nouveaux usages sont “un champ tout à fait passionnant à explorer”.
Surtout quand on se dote de nouvelles “modalités d’échange et de valorisation”. À l’exemple de Creative Commons qui organise la propriété intellectuelle et les possibilités de partage de manière non lucrative. Daniel Kaplan cite encore d’autres exemples : “la blockchain pour organiser les échanges”, le modèle open source illustré par le projet Fair cap de filtre à eau universel imprimable en 3D qui pourrait ainsi être une source d’eau potable partout dans le monde.
Positif également, l’accès facilité aux marchés qui favorise l’émergence de “petits entrepreneurs”. C’est aussi le crowdsourcing qui offre des possibilités de production participative de biens ou d’équipements. Par exemple, The global construction set, en français boîte à outils du village global, est une plateforme modulaire conçue pour être fabricable par tout un chacun à moindre coût. Tout aussi exploratoire, “un internet de l’énergie” qui permettrait de tirer des capacités locales de production et de stockage en “recourant le moins possible aux opérateurs centraux”.
À côté de ces initiatives, “et peut-être aussi important que tout le reste”, Daniel Kaplan voit dans le numérique une possibilité qu’il reste à concrétiser : “la manière de prendre des décisions collectives, parce que nous avons devant nous des choix déchirants.” Plus tard, au cours de l’échange avec le public, il dit aussi : “Nous sommes capables de nous adapter à d’immenses transformations… Mais c’est la première fois que le but est prescrit qui, peut-être, nous invite à être moins riches.”
Pour poursuivre la réflexion et apporter ses contributions, il propose de visiter et rejoindre la plateforme Transitions2. “Une maison commune pour deux mondes qui ne connaissent pas bien”, celui du numérique et celui de l’écologie”. “Cette recherche de lien concerne tout le monde, pas seulement la FING”, dit-il en conclusion.
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Voir aussi Transitions #2. A quand la transformation de l’éducation ?
Voir aussi Transitions#3. Comprendre les algorithmes, un enjeu citoyen
La plateforme Transitions au carré www.transitions2.net