Publié le 26/07/2016
Une société en mutation accélérée, une école figée dans des modèles du passé, des enfants non préparés au monde qui les attend… Cette vision est, en raccourci, celle de Laurène Castor lors de son intervention sur “Les nouveaux apprenants et la transition éducative”. Deuxième conférence d’une série de trois consacrées aux transitions, donnée début juillet lors du Forum des usages coopératifs de Brest.
Creative Officer et co-fondatrice de New World University, Laurène Castor est avant tout une passionnée de l’éducation et une déçue de notre système d’enseignement. Elle intervenait pour une conférence à Brest, dans les locaux de Télécom Bretagne, en ouverture de la deuxième journée du Forum des usages coopératifs, le 7 juillet dernier.
“J’ai 28 ans”, annonce la jeune femme pour débuter. Puis elle décrit un parcours en zigzag, le sien, qui passe par une école de commerce et un master de développement durable pour finalement découvrir que ce qui l’intéresse c’est l’éducation. Son premier travail sur le sujet, elle le décrochera non pas grâce à ses diplômes mais à “son blog”. Un travail “stable” qu’elle quittera rapidement pour une “aventure entrepreneuriale”. Aujourd’hui, elle projette d’écrire un roman. Si elle se raconte ainsi, c’est pour décrire un itinéraire davantage guidé par les envies que par sa formation initiale. Un état d’esprit qu’elle estime “partagé par beaucoup de personnes aujourd’hui”, notamment les gens de sa génération.
Car le monde change. Nos véhicules ne volent pas comme on l’imaginait dans les années 50, mais ce qui est en train d’évoluer “ce sont les usages liés à la révolution numérique”. Les technologies et nouveaux modèles liés au numérique bousculent les industries et services en place, à l’exemple d’Uber dans les transports. Avec la capacité de réinventer en permanence puisque ce même Uber se voit à son tour “menacé” par une plateforme de co-voiturage pair-à-pair, Arcade City. Des modèles sont en voie d’obsolescence tels que “la propriété” quand d’autres apparaissent comme le “collaboratif”. Tout change, “y compris les manières de travailler et d’apprendre”.
Laurène Castor dresse alors une analyse des dernières générations avec les différentes capacités de résistance ou d’adaptation que chacune a pu développer. Il s’agit d’observer les tendances et les souffrances “révélatrices de transitions”, ainsi que le décalage croissant entre l’enseignement et les attentes.
D’abord la génération X, celle qui succède aux baby-boomers. Elle se caractérise par une “hyper spécialisation professionnelle” et un “respect de la hiérarchie”. On était formé pour un métier, sans flexibilité, ce qui a provoqué de grandes difficultés lors de “l’accélération” provoquée par l’arrivée d’internet. C’est la génération du chômage et du divorce en milieu de vie, des mises au placard, du burn-out, voire du bore-out pour ceux qui sont affectés à des tâches inutiles.
La génération Y est celle du refus : ceux “prêts à quitter un emploi pour ne pas subir ce qu’ont connu leurs parents”. Ce sont “les enfants du web et de la mondialisation”, qui ont “toujours connu la crise” et peinent à trouver travail et logement. Des gens “formés pour un monde qui n’existe plus”, des “surdiplômés au chômage” à qui “l’entreprise classique ne correspond plus”. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à faire “un job-out”, à quitter une carrière pour se lancer par exemple dans la création d’entreprise. C’est aussi la génération des blogs et des modes de vie alternatifs, avec “la nécessité de gagner sa vie tout en l’inventant”.
La génération Z, elle, est encore dans les études ou au tout début d’un parcours professionnel qu’elle n’envisage pas forcément “sous la forme du salariat”. Sa priorité va à l’épanouissement. Ces jeunes n’hésitent pas à mettre en cause la hiérarchie et sont demandeurs de légitimité. L’entreprise idéale est “flexible, horizontale et fun”. Elle doit permettre à chacun de démontrer ses qualités. L’intervenante cite une étude, La grande invaZion, qui fait de ces jeunes “des indomptables du travail”, convaincus que le succès viendra davantage de l’inventivité et de la débrouillardise que de leur parcours académique.
Suit une critique en règle de l’éducation nationale “passée à côté de toutes les innovations”, dont Freinet ou Montessori il y a déjà bien longtemps. Rien ne change, “ni les matières, ni les évaluations, ni les emplois du temps”. Alors que dans le même temps “toutes les entreprises innovent et se transforment”. Et de citer ces chiffres : “Un tiers des collégiens s’ennuient tout le temps, un tiers s’ennuient souvent.” Le mouvement, selon Laurène Castor, ne pourra se faire qu’à l’extérieur de notre système éducatif. Les professeurs qui veulent agir de l’intérieur n’ayant droit qu’à “des bâtons dans les roues”. Le discours est émaillé de quelques points de vue définitifs : “je pense que cet ancien système va mourir à petit feu”, “je ne mettrai pas mes enfants à cette école d’hier qui ne prépare pas à demain, ni même à aujourd’hui”.
Mais quel modèle pour une école nouvelle ? Laurène Castor donne quelques pistes : “plus de liberté et plus d’autonomie…, plus de plaisir dans l’apprentissage”. À l’exemple de la Sudbury Valley School avec sa déclinaison française, l’école dynamique, qui se dit “libérée des programmes, emplois du temps et classes d’âge”. L’intervenante défend une école qui privilégie “la liberté de réinventer” aux “savoirs fondamentaux”. Elle met en avant une valeur, “la passion“, qui devrait d’abord et avant tout guider le parcours de l’apprenant.
Pour ce qui est des attentes des entreprises et de la société, Laurène Castor observe un glissement vers les profils littéraires et créatifs. “L’ordinateur entre en compétition avec nous, donc la différenciation, c’est l’humain… Le futur a besoin d’artistes, d’émotifs et d’hypersensibles.” Pour conclure, elle lance : “Le monde professionnel de demain est malléable et demandera de la flexibilité. Nous pouvons tous changer de voie et dessiner notre propre transition.”
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Le site de Laurène Castor Edutopies