Publié le 10/07/2018
L’innovation n’est pas en soi une valeur ; elle n’a d’intérêt que lorsqu’elle prend du sens et devient progrès. Tel est le point de départ de l’intervention de Nicolas Bouzou. Un discours introductif offensif de l’économiste et essayiste, auteur de “L’innovation sauvera le monde”. C’était le 3 juillet en ouverture de l’Open Innovation Camp organisé à Rennes par Images & Réseaux.
C’était un des moments attendus de la journée tant Nicolas Bouzou est connu pour ses prises de position tranchées. Pour commencer, l’économiste remet au goût du jour un concept qui a pu apparaître dépassé : il croit dans le progrès. Ce qui revient à croire dans l’innovation, à condition dit-il “qu’elle soit porteuse de sens”. Pourquoi le monde en mutation dans lequel nous vivons génère-t-il tant d’angoisses et de peurs ? Parce que les innovations qui bouleversent notre quotidien sont “définalisées”.
Dans les discours, il ne s’agit que de “faire avancer la technologie” ou de “gagner des parts de marché”. Alors que les enjeux sont ailleurs, dans les bienfaits générés pour l’individu et la société. Il est logique que “la destruction créatrice”, ce mouvement qui rend obsolète certains métiers et en fait émerger de nouveaux, soit anxiogène. S’adressant au public composé en majorité d’industriels et de chercheurs, Nicolas Bouzou exhorte à faire de la pédagogie. “Expliquez pourquoi vous innovez… L’innovation qui n’a pas de sens ne peut pas embarquer l’opinion publique.”
Le progrès est possible : “Avec une bonne politique économique et plus de sens, l’Europe redeviendra une terre de progrès.” Mais pas comme on l’entendait au 20e siècle. Le monde a déjà connu de grands bouleversements. Sauf que les mutations d’aujourd’hui présentent selon l’économiste trois grandes différences. Première nouveauté : le rythme des mutations s’accélère. “Avec la convergence entre le numérique, robotique et intelligence artificielle, la destruction créatrice est de plus en plus rapide.”
Surtout que le phénomène est désormais planétaire, ce qui est “inédit à l’échelle de l’humanité”. Quand une poignée d’entreprises étaient en concurrence au siècle dernier, la compétition est désormais mondiale d’emblée, et encouragée par les états. “Choose France” est une bonne idée, qui a ses limites parque qu’ailleurs on dit : “choose Germany, choose America, choose India…, choose Rwanda”.
Deuxième grande différence par rapport à “l’économie du pétrole”, l’innovation d’aujourd’hui réclame d’investir beaucoup d’argent. Le temps du bricolage dans le garage qui inonde le monde est révolu. Pourquoi ? “Parce qu’ils ont réussi” explique le conférencier en se référant aux géants du web. Il prend l’exemple du groupe chinois de e-commerce Alibaba. Lui qui s’est construit “avec 60 000 dollars” est maintenant capable de réaliser “25 milliards de chiffres d’affaires en une seule journée”. C’était lors du Single Day fin 2017. “On ne peut plus faire comme s’ils n’avaient pas réussi… Vous imaginez ce que cela représente en termes de barrière à l’entrée.”
D’où la troisième caractéristique de l’économie actuelle : “Le monde est dominé par une poignée oligopoles.” Les grandes firmes de l’internet disposent d’une telle puissance que leur croissance semble ne pas avoir de limites. Selon une logique nouvelle qui veut que : “Plus vous êtes gros, plus vous grossissez.”
Et l’humain dans tout ça ? “Il n’y aura pas de fin du travail” affirme l’économiste. La technologie détruit des tâches mais ne se substitue pas au travail humain. Car l’homme présente l’avantage d’être “sympathique, créatif, rigoureux et intelligent”. L’avenir est grand ouvert aux généralistes, ceux capables d’une “vision systémique du monde”. L’éducation et la formation seront clés : “Le 21ème siècle sera le siècle de la rareté des compétences.”
“Nous sommes faits pour être inquiets” affirme Nicolas Bouzou. Le médecin ne voit pas dans l’intelligence artificielle un outil mais une menace. D’où la nécessité d’expliquer en quoi l’innovation améliore le monde. Ou exprimé autrement, cette conclusion : “Parlons moins de technologie, parlons moins d’innovation, parlons moins de travail. Parlons de progrès !”
Photos : Caroline Ablain