Santé : Pour accélérer la recherche, il faut décloisonner les données

Publié le 05/09/2018

Marc Cuggia @GIRCIGrandOuest

C’est un enjeu de santé et de compétitivité. Les données de santé sont au centre de la recherche médicale, de la médecine prédictive et personnalisée, et de toutes les innovations médicales à base d’intelligence artificielle et de big data. Pour en parler, un expert : Marc Cuggia. Professeur d’informatique médicale et praticien hospitalier au CHU de Rennes, il est l’un des 3 copilotes chargé de la préfiguration du Health Data Hub voulu au sommet de l’État.

Marc Cuggia est à la tête de l’équipe projet Données Massive en Santé du laboratoire de recherche LTSI. À ce titre, il dirige le projet eHOP d’entrepôt de données hospitalières ainsi que la mise en place d’un réseau interrégional des centres de données cliniques (CDC) sur le Grand Ouest. Au niveau national, la volonté de créer le Health Data Hub découle du rapport Villani qui vise à positionner la France à l’avant-garde de l’intelligence artificielle. Marc Cuggia est l’un des 3 copilotes nommés en juin 2018 par Agnès Buzyn, Ministre des solidarités et de la santé, pour préfigurer ce que sera ce laboratoire national d’exploitation des données de santé. Entretien.

Qu’est-ce qui se joue aujourd’hui autour des données de santé ?

Marc Cuggia. Le système de santé au sens large produit énormément de données issues de sources hétérogènes : l’hôpital mais aussi la recherche clinique ou encore l’assurance maladie. La vision que nous défendons consiste à créer les conditions qui permettent de réutiliser toutes les données de santé que l’on produit, à des fins de recherche et d’innovation. Et l’idée clé, c’est de décloisonner ces données pour en exploiter la richesse. C’est le fait de croiser les informations qui permet d’extraire de la connaissance.

Très clairement, il s’agit d’un enjeu majeur parce qu’on sait que l’exploitation des données de santé est une source importante d’innovation. Le traitement des données massives et l’utilisation de méthodes d’intelligence artificielle sont en train de changer la donne dans le champ de la santé. Si on observe au niveau international, d’autres pays vont extrêmement vite sur ces questions. Alors que nous avons toutes les compétences en France, nous avons pris un retard significatif. Les initiatives en cours visent à inverser cette tendance et à nous positionner en tête sur ces sujets-là, en Europe et au-delà.

Que faut-il mettre en place pour rendre accessibles ces données ?

Marc Cuggia. Il y a bien sûr un volet technique de mise en place d’infrastructures identiques d’hébergement des données de santé de manière à les potentialiser. Mais il existe aussi un élément clé d’organisation et de gouvernance. Il faut créer une zone de confiance autour des données de santé, où il s’établit une relation gagnant-gagnant entre les différents acteurs. En premier lieu les patients, mais aussi les professionnels de santé qui utilisent ces données au quotidien, les chercheurs qui les exploitent, et les industriels qui créent les outils dont nous avons besoin. Pour cela, il faut trouver le bon équilibre entre les bénéfices sociétaux et économiques qu’on peut en attendre et le respect des règles éthiques, déontologiques et réglementaires. Nous sommes extrêmement vigilants sur ce dernier point, parce que c’est la condition pour qu’il y ait acceptation et adhésion.

Ensuite, il y a la partie exploitation qui nécessite des infrastructures de stockage, d’échanges sécurisés, de calcul… Mais aussi une expertise métier, parce qu’il s’agit avant tout de santé. C’est pour cela que l’on crée des centres de données cliniques, qui sont à l’interface entre les mondes du médical, de l’informatique, de la sécurité, de l’analyse statistique et de la fouille de données. Car l’exigence est de répondre à des besoins identifiés : déterminer les biomarqueurs d’intérêt qui permettent un meilleur ciblage thérapeutique, exercer une veille à grande échelle en pharmacovigilance, repérer des patients éligibles à des essais cliniques de nouvelles molécules par exemple.

Sur le sujet des données de santé, le Grand Ouest a-t-il une carte particulière à jouer ?

Marc Cuggia. Dans le Grand Ouest, et plus largement en France, nous avons d’excellents mathématiciens, des informaticiens et des spécialistes de la sécurité hors pair, des médecins exceptionnels… Mais ce qui pose problème, c’est le cloisonnement des compétences. De la même façon qu’il faut décloisonner les données, il faut décloisonner les compétences. On ne peut pas créer d’applications de santé sans rien connaitre du domaine. Tout repose sur un trépied : compétences métier, compétences informatiques et compétences en traitement de l’information. L’innovation nait de la collaboration. C’est un maillage à mettre en place avec les autres laboratoires de recherche, avec les industriels et avec les startups.

Le réseau de Centres de données cliniques du Grand Ouest se construit de manière ascendante, par une approche pas à pas. Aujourd’hui, il se trouve que la synergie interrégionale que l’on expérimente ici se combine avec les initiatives qui se mettent en place à l’échelle nationale. C’est ça qui va être très intéressant à vivre dans les mois à venir.

Ministère des solidarités et de la santé Health Data Hub

Photo de Marc Cuggia : @GIRCIGrandOuest

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