L’homme augmenté : des solutions… des questionnements

Publié le 01/02/2019

Technoference #27

D’un côté, l’homme augmenté promet d’être plus efficace, plus sûr, plus rapide. Mais de l’autre, ne risque-t-il pas d’être bousculé dans son humanité ? La Technoférence du 29 janvier abordait le sujet dans toute sa complexité : l’humain réparé pour pallier le handicap, le travailleur augmenté dans l’industrie du futur… Et puis l’acceptabilité des nouveaux usages, la transformation des organisations…

Dans son intervention d’ouverture, Alexandre Bouchet dressait un état de la situation. D’après le directeur de Clarté, l’humain a toujours “tenté de compenser ses manques” ou “d’augmenter ses capacités”.  Cette augmentation peut être physique, cognitive ou de communication, avec divers niveaux de “maturité technologique”. Premier niveau, l’existant, dans lequel l’intervenant range les exosquelettes, la réalité augmentée, mais aussi le dopage. Puis, l’émergent, où l’on trouve le body hacking (ces hyper geeks qui implantent des puces ou des capteurs dans leur propre corps), les assistants intelligents, les interfaces cerveau machine. Enfin, le spéculatif, avec notamment les NBIC, qui sont le point de convergence des nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives. Celles-ci alimentent de nombreux fantasmes, dont le courant transhumaniste.

Homme augmenté @Clarté

Puis Alexandre Bouchet lance une série d’alertes sous forme de quatre “points de vigilance”. Premier risque identifié, “la désubstantialisation” qui réduirait l’humain à une somme de qualités autonomes qu’on pourrait “upgrader” tout comme on améliore les possibilités d’une machine. Deuxième risque, “la standardisation” alors que la diversité des personnes est source d’inventivité, de performance et de résilience des organisations. “L’accessibilité” est une autre exigence pour éviter “une ségrégation” de la population par la technologie. Enfin, quatrième point à éviter, “la contrainte d’usage” qui imposerait à la technologie à l’utilisateur “sans lui laisser le choix”.

Retrouver de l’autonomie : l’homme réparé

Après ce tour d’horizon, place à des applications concrètes avec deux exemples de recherches visant à combattre le handicap. Le premier était présenté par Renaud Séguier, responsable de l’équipe FAST à Centrale Supélec/IETR. L’objectif : “mettre du son 3D dans les prothèses auditives”. Ceci pour restaurer chez le malentendant la capacité à sélectionner les sons dans un environnement bruité. Par exemple suivre une conversation au restaurant. L’idée est de rétablir la fonction de transfert du signal sonore (HRTF) grâce un modèle personnalisé établi à partir d’images prises au smartphone. Ces “selfies de l’oreille” servent à construire une “oreille numérique” qui permet d’adapter la prothèse à la forme des oreilles, unique pour chacun de nous.

Questions-Réponses

Autre sujet de recherche, le fauteuil roulant intelligent. Il était présenté par deux personnes, Marie Babel de l’INSA Rennes et Bastien Fraudet de la cellule de recherche du Pôle Saint-Hélier. La première avoue qu’elle n’a “aucune expertise médicale”, quand le second répond n’avoir “aucune compétence technique”. Ceci pour insister sur l’importance de joindre leurs efforts tout en veillant à une indispensable “proximité avec le patient”. Leurs recherches, qui consistent à assister l’utilisateur dans les manœuvres difficiles, ont fait l’objet de projets collaboratifs successifs : APASH, HANDIVIZ, ADAPT. Pour aboutir aujourd’hui au concept d’assistance progressive qui laisse l’initiative à l’utilisateur et évite de “brider l’autonomie”. D’abord focalisés sur les franchissements de portes et de rampes en intérieur, les travaux s’étendent aujourd’hui à la circulation en extérieur “première cause d’accident en fauteuil roulant”. Ceux-ci incluent “des études cliniques au fil de l’eau” pour coller au plus près des besoins et capacités motrices et cognitives des différentes typologies de patients.

Davantage d’efficacité : le travailleur augmenté

À suivre, trois entreprises du numérique mettaient en avant leurs solutions. À commencer par la toute jeune pousse Inscoper, dont le président Olivier Chanteux présentait Roboscope, le microscope intelligent. Il s’agit de microscopie à fluorescence, une technique “indispensable de toutes les découvertes en santé” car elle permet d’observer la matière vivante sans l’inonder de lumière. Par contre, elle produit de grandes quantités d’images qui manquent souvent de pertinence. Alors que l’outil imaginé sera capable de reconnaitre automatiquement “les objets et événements biologiques d’intérêt”, puis d’optimiser en fonction les paramètres d’acquisition. D’où un gain de temps et de performance. Ce qui fait dire au jeune entrepreneur : “L’objectif est de permettre au chercheur de nourrir l’appareil avec son intelligence. C’est cette capacité de transfert qui est intéressante. Dans cette mesure, on peut parler de chercheur augmenté.”

Inscoper

Sullivan Gauville représentait Bookbeo dont il est le directeur technique. L’entreprise finistérienne s’est fait une spécialité d’intégrer des technologies de réalité augmentée dans les processus industriels : “Notre problématique, reconnaitre le réel et l’augmenter.” Quelques exemples d’application : optimiser le contrôle qualité, assister la maintenance, créer des outils RA de formation. Puis c’était au tour d’Arnaud Cosson, dirigeant de HRV, d’expliquer les travaux de R&D en cours. La PME lavalloise est spécialisée dans l’analyse des postes de travail et la prévention des TMS (troubles musculosquelettiques). Elle s’intéresse aujourd’hui à un autre aspect, le stress, ou exprimé plus globalement : “la charge mentale des opérateurs”. Il s’agit dans un premier temps “d’explorer le sujet” en fusionnant les données issues de différents types de capteurs : GSR (Galvanic skin Response), ECG (électrocardiogramme), EGG (électroencéphalographe), suivi oculaire, etc. Ceci pour instrumenter l’ergonome qui, sinon, ne dispose que d’entretiens avec les opérateurs.

Et l’humain dans tout ça ?

La question était d’abord traitée sous l’angle de l’acceptabilité. Rebecca Fribourg, doctorante dans l’équipe Hybrid à Inria Rennes, cherche à évaluer la perception qu’a l’utilisateur de son avatar dans un environnement virtuel. Il existe plusieurs types de représentations, depuis une simple paire de manettes en suspension jusqu’au personnage intégré dans la scène virtuelle. “Mais qu’est-ce qui plait ?” L’intervenante donne quelques pistes. L’adoption semble meilleure “en première personne”, donc quand l’utilisateur voit à travers les yeux de son avatar. La représentation doit être fidèle, mais pas trop car sinon “on voit ses propres défauts”. Autre idée, ajouter une ombre “renforce le sentiment d’incarnation”. Au-delà de ses applications pratiques, la réalité virtuelle devient “un nouveau terrain d’évaluation et d’exploration” sur la perception que l’on a de soi.

Pour conclure, Sophie Bretesché et Cédric Dumas, enseignants-chercheurs à l’IMT Atlantique, s’intéressaient aux conséquences de ces nouvelles technologies sur l’humain et les organisations. Attention aux contreparties avertit la sociologue, l’homme augmenté pourrait voir ses facultés diminuer. Par exemple : “Nous déléguons la mémorisation des numéros de téléphone à notre smartphone, alors qu’il y a seulement quelques années nous faisions confiance à notre mémoire.” Puis elle rend compte d’une étude, dans le domaine de l’habitat, sur les transformations associées à l’arrivée du BIM, de l’agence en ligne et de l’usage des big data. Où, à côté d’effets positifs en termes d’apport de connaissances, l’étude a notamment mis en évidence “une bureaucratie augmentée”. “Ça grenouille de technologies, mais ça endort l’organisation de requêtes et ça déconnecte de la réalité.”  De l’humain augmenté à l’organisation augmentée, il y a un pas. “Nous avons peu de recul” constate pour sa part Cédric Dumas. “Il faudrait un guide pour prendre en compte l’organisation.”

Cedric-Dumas

La Technoférence #27 était organisée par Images & Réseaux en partenariat avec le pôle EMC2 le 29 janvier 2019. L’événement se tenait à l’IMT Atlantique de Nantes et il était suivi en visioconférence depuis Brest, Lannion, Le Mans, Quimper et Rennes.

Retenez la date de la prochaine édition #28. Ce sera le 14 mars 2019, site principal Brest, sur le thème : L’âge du “faire”, du prototype à l’industrialisation. Venez découvrir les témoignages de grands groupes, PME et laboratoires académiques qui ont industrialisé les fablabs ! S’inscrire.

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