Publié le 11/07/2019
Climat, pollutions, biodiversité, la planète va mal. Pour la soigner, pas de demi-mesure : il faut transformer la société. Et les transitions en cours – écologique, énergétique, sociale, économique- s’appuieront sur un socle numérique qu’il reste à construire. Retour sur les deux tables rondes qui éclairaient le sujet lors de l’Open Innovation Camp 2019.
L’OIC19, la journée de l’innovation numérique collaborative de l’écosystème Images & Réseaux, se tenait le 4 juillet à Nantes. Thème du jour, TRANSITION[S] : une transformation de l’ensemble de la société issue de la convergence de multiples transitions sectorielles. Avec, pour les acteurs du numérique, la responsabilité de développer les outils permettant d’accompagner le mouvement. Pour en parler, deux tables rondes animées par Stéphanie Géron-Blay d’Images & Réseaux : la première sur l’engagement écologique des entreprises, la deuxième sur les solutions proposées par les laboratoires et startups.
Sur scène pour le premier débat, quatre intervenants : Jacques-François Marchandise de la FING, Thierry Vonck de la SNCF qui représentait aussi l’Institut numérique responsable, Stéphane Gervais du Groupe Lacroix et Amaury Mazon de GRT Gaz. Le premier constat est posé par Jacques-François Marchandise à propos de la conférence internationale sur le climat de 2015 : “Les acteurs du numérique n’étaient pas au rendez-vous de la COP”. D’où l’idée d’un travail collectif qui se traduit par un livre blanc accessible en ligne : Numérique et Environnement. L’enjeu de la publication : “Mettre la transition numérique au service de la transition écologique.” Le livre blanc est structuré en quatre grands chantiers. 1 – Réduire l’empreinte écologique du numérique, avec cette remarque : “Ce n’est pas parce qu’on fait des Green Tech qu’on maîtrise les impacts de ses propres innovations.” 2 – Utiliser le numérique pour construire les politiques écologiques, ce qui passe par “un langage commun entre acteurs du numérique et de l’environnement”. 3 – Soutenir l’innovation numérique en faveur de l’écologie. 4 – Mobiliser le potentiel des données, qui sont “la pâte à modeler” permettant la transition écologique.
L’Institut numérique responsable (INR) est une conséquence directe de ce livre blanc. Il a été créé, explique Thierry Vonck, pour “définir une charte du numérique responsable et fournir un label”. L’INR réunit des entreprises, des associations, des agglomérations, des universités dans l’objectif de “pousser toutes les organisations vers les bonnes pratiques et les partager”. Par exemple, la SNCF, qui est l’un des signataires, a mis en place une stratégie des achats responsables “pour nos achats de matériel mais aussi pour le recours à la sous-traitance”.
L’équipementier Groupe Lacroix s’est lancé dans un projet exemplaire d’usine du futur de fabrication électronique. Stéphane Gervais en traçait les grandes lignes : “Nous voulons minimiser l’impact environnemental de la nouvelle usine mais aussi repenser son fonctionnement.” En particulier : réduire les consommations d’énergie, utiliser de l’énergie solaire en autoconsommation, recycler les matériaux… “Notre volonté est de pérenniser l’usine et les emplois.” Le tout dans une logique d’ouverture et de partenariat : “Aidez-nous à construire le projet.” La volonté est d’étendre la démarche d’écoconception à l’ensemble de l’activité de conception-fabrication. Ainsi un label de réparabilité “permettra de faire durer le produit le plus longtemps possible”.
L’évolution vers de nouvelles pratiques vaut aussi pour GRTgaz. Notamment sous l’influence de deux transformations explique Amaury Mazon. L’une est numérique. L’autre est écologique, car aujourd’hui les territoires ne sont plus seulement consommateurs mais aussi producteurs d’énergie. Si bien que le distributeur devient aussi collecteur de méthane et biogaz “qu’il faut injecter dans le réseau”. Pour expérimenter cette nouvelle donne, deux démonstrateurs, “les premiers smart grid territoriaux autour du gaz en Europe”, ont été lancés en Bretagne (Pontivy) et en Pays de la Loire (Pouzauges). “Nous changeons de culture” commente le délégué territorial centre-Atlantique du transporteur de gaz. Mais on pourrait faire plus, un exemple : “Quand nous réalisons une étude d’impact faune et flore pour un projet, elle ne sert finalement qu’à constituer un dossier. Et c’est dommage. Ce sont des connaissances que l’on pourrait partager.”
Les intervenants s’accordent sur les nécessités d’une approche systémique de chaque projet et du partage de connaissances à l’échelle du territoire. Jacques François Marchandise parle ainsi de “bouillon de culture” chargé de nourrir les startups. Ce qui lui vaut ce point de vue optimiste : “Les défis dont nous parlons sont particulièrement stimulants pour les générations qui arrivent sur le marché du travail.”
La deuxième table ronde était justement davantage orientée startups et labos autour de cette question : “Solutions numériques aux grandes vertus : quel champ des possibles ?” La première réponse est fournie par Thomas Corpetti, de l’Université Rennes2-CNRS. Le chercheur étudie les images satellites pour comprendre le climat en milieu urbain, dont “le phénomène des îlots de chaleur”. Il utilise notamment des IA pour “comprendre le rôle de la végétation sur le refroidissement de la ville”. Il est encore question de traitement d’images par l’IA avec Wipsea. La startup rennaise, représentée par son CEO Gwenaël Duclos, utilise le Deep Learning pour analyser des images aériennes et dénombrer les animaux sauvages. Un projet collaboratif en cours, SEMMACAPE, permettra ainsi de caractériser les impacts de projets éoliens en mer.
Deux autres projets collaboratifs étaient sur scène. DEEPBLUE a mis au point une technique laser de détection en temps réel de nanoparticules de plastique dans l’eau de mer. “L’aventure se poursuit par un nouveau projet sur la détection de tumeurs cancéreuses” se félicite Stéphane Trébaol de l’ENSSAT-Institut Foton. SPATIAL MODULATION devrait également se prolonger “par un nouvel ANR” espère Dinh Thuy Phan Huy d’Orange Labs. Le projet a permis de jeter les bases d’objets connectés “alimentés par l’énergie ambiante et qui recycles les ondes existantes pour échanger des messages”. SPATIAL MODULATION remportera le même jour le Trophée Loading the Future 2019.
Puis il est question d’IoT avec Jérôme Le Roy, fondateur de Weenat. La startup fournit aux agriculteurs des solutions météo mobiles pour “piloter les cultures du semis à la récolte sur smartphone”. Ces solutions à base d’électronique, de web, d’agronomie “et de modèles mathématiques” sont développées à Nantes par une vingtaine de personnes. Toujours dans la région nantaise, Greenspector, “bientôt 9 ans d’existence” précise Thierry Leboucq, accompagne les démarches d’écoconception des entreprises. Nouvelle tendance observée : “Nous allons de plus en plus vers l’écoconception globale d’un service qui englobe matériel et logiciel.”
Enfin, Christophe Perron présentait Stimergy et ses “chaudières numériques”. Ce sont des mini-datacenters distribués dans des bâtiments qui récupèrent la chaleur dégagée pour produire leur eau chaude. Bilan : “Nous réduisons de 50% l’impact environnemental des serveurs.”
La question de l’impact environnemental des outils numériques développés est évoquée à plusieurs reprises au cours de la discussion. Notamment par Thomas Corpetti pour qui il faut “récupérer les algorithmes” : “L’entrainement d’une intelligence artificielle de reconnaissance de visages a un bilan carbone équivalent à celui du cycle de vie complet de 5 voitures. Ce qui pose un problème de cohérence vu les sujets sur lesquels nous travaillons.” Même préoccupation éthique chez Gwenaël Duclos et Wipsea, qui veille à “minimiser les impacts du Deep Learning”. Cette démarche est encore récente mais la communauté académique commence à se mobiliser. Un collectif de membres du monde académique de toutes disciplines et sur tout le territoire, Labos 1point5 vient notamment de se constituer autour d’un objectif commun : mieux comprendre et réduire l’impact des activités de recherche scientifique sur l’environnement, en particulier sur le climat.
Pour conclure les échanges, Thierry Leboucq regrette que la dimension “numérique responsable” ne soit pas ou trop rarement intégrée aux appels d’offre. “C’est au donneur d’ordre d’intégrer la démarche en amont dans le projet.”