Publié le 24/09/2018
La pêche, c’est bien-sûr capturer le poisson : mais c’est aussi protéger les ressources, sécuriser les navires, tracer les prises, analyser la qualité, vendre à distance, transporter sans délai… Toutes activités appelant des réponses numériques que la journée #Pêche du cycle Mer & Numérique s’efforçait d’identifier. C’était le 20 septembre, à Quimper. Un événement où se mêlaient conférences, retours d’expérience et ateliers.
La Bretagne est la première région de pêche en France, elle produit “plus de la moitié du tonnage national de poissons et de crustacés” énonce sur son site le CMPREM Bretagne pêches. Tandis que les Pays de la Loire se classent en troisième position nationale. Autant dire que les deux régions cumulent les expertises du numérique et de la pêche. Qu’il est naturel pour les pôles de compétitivité Images & Réseaux et Mer Bretagne Atlantique d’unir leurs efforts sur ce territoire pour détecter de nouveaux usages du numérique liés à la pêche. Et que les projets R&D collaboratifs sont un moyen de les concrétiser.
C’était précisément l’objet de la journée #Peche du 20 septembre, quatrième rendez-vous du cycle Numérique & Mer organisé conjointement par les deux pôles. Cette fois en partenariat avec le Technopole Quimper Cornouaille, l’événement se tenant dans un amphithéâtre de l’UBO de Quimper comble pour l’occasion. La matinée était consacrée aux conférences et témoignages avant les ateliers ciblés de l’après-midi.
Satellites, radars, communications hautes fréquences…, La pêche est une activité particulièrement surveillée. Pour des raisons multiples, à commencer par la sécurité. Elle occasionne “22 000 disparitions en mer chaque année dans le monde” rappelle le premier intervenant. Pierre Girard est consultant et CEO de Maritime Survey. Il se charge de dresser le paysage des technologies en œuvre dans le secteur. Outre la sécurité des navires, il s’agit aussi de veiller à la préservation des ressources, combattre la pêche illégale, encadrer les pratiques de pêche et la concurrence notamment.
D’où une multiplicité de systèmes, de technologies et de sigles : VMS pour la surveillance des navires, ERS pour enregistrer et communiquer les données de pêche, VDS pour la détection satellitaire, AIS pour l’identification et la surveillance… Et donc une profusion de données à transporter et analyser. Ce qui constitue potentiellement une mine de ressources pour des applications de traitement d’images, d’intelligence artificielle et de big data. “Le croisement des données est essentiel pour valider et confirmer”, commente l’intervenant à propos de la surveillance de la pêche au thon rouge.
Selon lui, d’autres technologies sont en train d’émerger : les nano-satellites notamment pour raccorder des objets connectés, les drones de surveillance de la pêche qui ont fait l’objet de “tests probants en Méditerranée”, la blockchain pour sécuriser les données… C’est aussi le smartphone, dont l’usage s’est “banalisé” dans la pêche professionnelle. Parmi les perspectives, il faudra équiper la pêche artisanale (bateaux de moins de 15 mètres) : “Ce sera le challenge des 10 prochaines années.”
La criée a connu ces dernières années une révolution : l’achat se fait majoritairement non plus sur place mais à partir d’un écran. “60% des lots sont achetés à distance” rapporte Christophe Hamel, directeur des criées à la CCI Quimper-Cornouaille. Là comme ailleurs le système d’information et le web sont devenus le cœur de l’activité : “Si le système tombe, on ne peut plus vendre.” Avec cette particularité qu’il s’agit de “frais” : le poisson ne supporte pas le moindre délai.
La révolution en cours est toutefois très imparfaite car l’acheteur à distance manque de données. Il achète le plus souvent “les yeux fermés”, sur des critères de réputation plus que de qualité. Si bien que Christophe Hamel, également président de l’association des directeurs et responsables des halles à marée de France, liste une série d’améliorations attendues par la profession. D’abord : “Fluidifier et uniformiser les informations pour mieux éclairer le marché.” Le logbook sur lequel les patrons-pêcheurs consignent leurs prises permettrait par exemple d’avoir des informations avant que le poisson soit débarqué. Ceci pour prévoir les achats mais aussi anticiper les transports.
Autres progrès attendus : “l’insertion d’images dans les catalogues de vente” pour éviter l’achat aveugle ; “le traçage au bac de poissons” alors qu’il est aujourd’hui limité au lot ; “l’uniformisation des écrans d’achat” pour éviter que l’acheteur soit confronté à des interfaces différentes en simultané… La perspective de long terme qui se dessine est celle d’une “plateforme de vente virtuelle” appuyée sur le cloud et offrant toutes garanties “de transparence et de confiance”. Un autre point est apparu au cours des échanges qui ont suivi : “Tous les ans on se fait avoir par un problème de mévente au mois de février. Simplement à cause des vacances, les cantines sont fermées…” Sans doute une piste pour de l’optimisation prédictive du marché ?
Après l’expression des besoins, c’était au tour des solutions numériques d’ouvrir le champ de la réflexion. Avec d’abord Sébastien Lefèvre de l’UBS-IRISA, qui démontrait les possibilités du Deep Learning dans les technologies d’aide à la décision. Pour l’enseignant-chercheur nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui associe “big data, internet des objets et intelligence artificielle”. Où les données peuvent être de tous types : signal radar, écho sonar ou images satellites par exemple. Quelques cas d’usage pour démontrer le potentiel : l’analyse des trajectoires AIS pour identifier des comportements anormaux, la reconnaissance automatique des espèces à partir d’images, “le chalut intelligent” capable de rendre compte des prises alors qu’il est encore immergé.
À suivre, un exemple concret puisqu’il s’agit d’un produit commercialisé. Neptulink est une box 4G issue d’un projet collaboratif (TMS, co-labellisé Images & Réseaux et Mer Bretagne), qui offre à moindre coût une connexion haut débit à proximité des côtes. “100 Mégabits par seconde jusqu’à 20 milles nautiques, voire au-delà”, précise Romain Butet, de MVG. Le groupe, qui possède un site à Brest, commercialise largement l’ensemble boitier-antenne : à des compagnies de transport, aux douanes, à la SNSM, aux Abeilles de remorquage, aux organisateurs de régates… Le système est expérimenté au port de pêche de la Cotinière, pour permettre en particulier à un bateau de communiquer ses prises par anticipation.
La conclusion de la matinée revenait à un autre projet co-labellisé des deux pôles, DEEPBLUE, présenté par Stéphane Trebaol de l’ENSSAT-Foton. Ce projet est en cours, la validation du dispositif développé étant prévue pour octobre. Il s’agit de “sources laser de longueur d’onde courte” qui améliorent sensibilité (x10) et résolution (200 nanomètres) tout en étant compatibles en coût et taille avec un déploiement “à grande échelle”. Ces lasers bleus et ultraviolets seront intégrés dans un appareil de mesure (spectromètre) pour détecter à la volée des polluants marins de très petite taille : les nanoparticules de plastiques. Au-delà de ce cas d’usage, d’autres applications sont envisagées comme l’analyse instantanée de qualité alimentaire. Peut-être un jour un laser pour évaluer la fraîcheur du poisson ?
Au cours des ateliers de l’après-midi, on s’intéressait aux problématiques de communication spécifiques aux navires de pêche, de caractérisation et de collecte des données liées aux captures et engins de pêche, de commercialisation et de suivi des produits de la mer. Autant de sujets potentiels de R&D et d’innovation.