Publié le 24/01/2022
Et si votre technologie numérique pouvait également intéresser le monde des arts et de la culture ? La Technoférence #39 du 20 janvier 2022, encore exceptionnellement au format webinaire, était justement destinée à faire naître des idées. Car les dernières technologies et usages innovants impactent aussi l’ensemble des industries culturelles et créatives. Ce qui peut être source d’inspiration pour de nouvelles œuvres comme pour de nouveaux projets R&D.
C’est une réalité souvent méconnue, le poids économique des industries culturelles et créatives (ICC) est supérieur à celui des télécoms, de la haute technologie, des pharmas ou de l’industrie automobile par exemple. Ce constat vient d’un Panorama européen des industries culturelles et créatives, établi par Ernst & Young et daté de janvier 2021. Dans lequel l’on apprend aussi que les ICC représentent en 2019 des revenus estimés à 643 milliards d’euros, soit 4,4% du PIB de l’UE. Un argument qui devrait convaincre les acteurs technologiques à regarder avec intérêt ce qu’il se fait du côté de la culture. D’autant que nos trois régions -Bretagne, Pays de la Loire et Normandie- sont bien positionnées à la fois sur les secteurs de la culture et du numérique, chacune avec ses particularités.
La matinée, sous forme de webinaire, permettait dans un premier temps de faire le point sur les écosystèmes et initiatives dans les trois régions. Puis d’illustrer par des exemples de projets et de produits dans le domaine des arts audiovisuels, les collaborations possibles entre chercheurs, industriels et créateurs de contenus. Les technoférences sont organisées par L’alliance numérique du Grand Ouest composée des pôles de compétitivité Images & Réseaux et TES. L’édition du jour réunissait près de 50 participants.
Les participants à la Table ronde
C’est Sophie Maitrallain qui débutait la table ronde consacrée aux écosystèmes de l’Ouest, en présentant la Samoa, l’aménageur urbain de l’île de Nantes également chargé de “l’accompagnement des industries culturelles et créatives”. Celles-ci couvrent un spectre très large comprenant 12 filières : spectacle vivant, art visuel, médias, audiovisuel, patrimoine, architecture, métiers d’art, mode et accessoires, communication, design et… numérique. L’un des enjeux de l’accompagnement étant de “créer des communautés créatives pour favoriser la transdisciplinarité” et ainsi accélérer les initiatives et expérimentations “au croisement entre les industries culturelles et créatives et la fabrique urbaine”.
“Nous on est plutôt sur l’image et le son” avertit François-Xavier Jullien, qui contribuait à la table ronde pour Rennes Métropole. Il voit dans l’audiovisuel “le fer de lance des industries culturelles et créatives” dans la capitale bretonne et ses environs. Il s’agit là encore d’accompagner la structuration de filière ICC et de soutenir l’innovation. Les appels à projets Créativité croisée et Tempo à l’initiative de la métropole représentent ensemble “une enveloppe de 300 000 euros” destinée à soutenir très concrètement les initiatives.
Puis c’est Luc Brou, de Oblique-s, qui présentait l’écosystème normand avec une focalisation sur “les arts et cultures numériques”. Comme ailleurs, il s’agit de croiser les compétences, décloisonner les pratiques et “mettre en lien les acteurs et projets”. L’une des clés, selon l’intervenant, est de développer les relations entre les trois régions avec notamment des “co-productions mutualisées à l’échelle du Grand Ouest pour être plus efficace”. Il cite en exemple les coopérations entre les festivals Interstice de Caen et Scopitone de Nantes : “Pour nous, les relations interrégionales sont vraiment un atout.”
Pour favoriser le croisement des compétences, rien de tel que de nouveaux parcours de formation mixant culture et numérique. François-Xavier Jullien se félicite de l’arrivée dans le bassin rennais d’écoles comme l’École de Condé, Studio M, l’ESMA “avec un campus créatif qui avoisinera les 17 000 mètres carrés”. Il voit ces nouvelles implantations comme étant “très positives” mais prévient : “Il faut être vigilant sur les formations proposées et l’adéquation avec les attentes des entreprises.” Parmi les risques, il pointe le retard par rapport aux réalités du marché : “Les technologies vont toujours plus vite que la mise en place de nouveaux cursus.” Puis il énumère quelques technologies qui lui semblent “prendre le pas” : l’animation 3D et les technologies immersives, mais aussi l’intelligence artificielle, la blockchain… Car pour l’expert en ICC de Rennes Métropole : “Nous allons vers de nouveaux schémas de création de contenus… Il y a des vrais chocs qui se profilent.”
Sophie Maitrallain se dit en phase avec cette vision. “Les sujets d’IA et de blockchain ne sont pas des sujets qu’on abordait dans l’enseignement supérieur en lien avec le motion design ou l’animation. Il y a certainement là une nouvelle phase qui va démarrer.” Tandis que Luc Brou relativise : “Dans le domaine artistique, on a un regard distant et critique par rapport à ces technologies qui bénéficient d’une couverture médiatique énorme en ce moment… Ce qui nous intéresse, c’est la question du contenu.”
Le même Luc Brou préfère insister sur les ponts à développer avec les grands sujets qui traversent l’ensemble de la société. Il cite des travaux de recherche expérimentale de “réalité virtuelle altérée par l’artiste” et de “chatbot poétique” liés à la préservation de l’environnement et d’espèces menacées sur le littoral.
Le débat s’oriente alors naturellement vers le numérique responsable, qui est aujourd’hui stratégique à Images & Réseaux comme chez TES. C’est également le cas à Rennes Métropole où comme l’explique François Xavier Jullien : “Les sociétés n’auront bientôt plus le choix… Le soutien à la filière sera de plus en plus soumis à une écoconditionnalité des projets.” Il fait surtout référence à l’audiovisuel et notamment aux contenus de vidéo en ligne dont la consommation est très énergivore.
Sophie Maitrallain appuie tout en élargissant. Au-delà du numérique, elle parle de “mouvement des industries culturelles et créatives vers l’environnement et vers l’ESS, l’économie sociale et solidaire”. Ces deux tendances sont aujourd’hui “des critères” dans l’examen des réponses aux appels à projets lancés dans le bassin nantais.
La table ronde se termine par des échanges autour des questions posées à travers le chat en ligne. C’est en particulier le mot metaverse, cité à un moment par François-Xavier Jullien, qui fera réagir. Ce qui amène l’intervenant à préciser sa pensée : “Facebook nous promet que c’est le monde de demain… Tout le monde investit des milliards sur le sujet… Ce second monde n’est pas ce que j’appelle de mes vœux, mais il faut quand même regarder ça en termes de business.”
La seconde partie de la matinée était davantage orientée technologie avec quatre présentations. C’est d’abord Philippe Guillotel, d’InterDigital, qui explique les recherches du projet européen Invictus dont l’objectif est d’accélérer et améliorer la création d’avatars réalistes pour le marché du divertissement numérique. Deux méthodes sont explorées : la numérisation d’une personne statique, et la capture vidéo volumétrique d’une performance. La génération du modèle est complétée par des fonctions d’édition, de stylisation et d’adaptation du mouvement, qui permettent d’améliorer le rendu de l’avatar obtenu ou de générer des caricatures réalistes. L’équipe cherche par exemple, à partir d’un simple texte écrit, à produire la gestuelle et les expressions faciales en adéquation avec la lecture du contenu. Les développements pourraient également intéresser les metaverse et plus généralement “les environnements de téléprésence”. Des datasets de personnages et fonctions d’édition sont accessibles sur le site du projet.
Puis c’est au tour de Vincent Roirand de présenter le projet collaboratif CARISM de création d’une expérience immersive collective en réalité augmentée. L’idée, explique le dirigeant de Mazédia, est de “rapprocher les musées des parcs d’attraction en apportant de l’interactivité”. Avec aussi cette exigence de “créer des expériences collectives sans appareillage”, donc à partir de la captation par un jeu de caméras des expressions faciales et des postures. Par exemple lors de la visite d’un aquarium, on pourra s’amuser à “donner à manger au requin”. L’objectif industriel est de réaliser un environnement immersif “low cost” et “modulaire” afin qu’il soit adaptable “selon le budget des projets”. Carism s’inscrit dans une forte concurrence sur le marché mondial. L’une des briques du projet a nécessité 6 mois de développement alors que “finalement un composant sur étagère est sorti à 25 dollars” avec des fonctionnalités équivalentes. “Ce sont les aléas de la R&D.”
De là, on passe à la sonorisation immersive avec Laurent Feichter dirigeant de Feichter Electronics. Il présente le projet de R&D collaborative HAD-OC dont les partenaires sont “tous à Lannion”. Le son 3D arrive dans les musées avec les audioguides en binaural dynamique dont le contenu se déclenche “en fonction de ce que vous regardez”. Également dans certains spectacles où “le son vous suit si vous tournez la tête”. HAD-OC s’inscrit dans cette continuité pour répondre à deux besoins : la transmission audio numérique sans fil, et la localisation de la source sonore et de l’auditeur. Il développe des technologies de localisation et de suivi de l’orientation grâce à des composants “sobres et peu chers” complétés par des développements conséquents du type radio logicielle.
Pour terminer, c’est une société qui mettait en avant ses produits et services. Son nom évoque des blockbusters et séries audiovisuelles parmi les plus grands succès. Il s’agit de Golaem, spécialiste des solutions de simulation de foules en environnement 3D, présentée par son CEO Stéphane Donikian. Il faisait un focus sur la suite Golaem 8 qui permet de “combiner le contrôle artistique par l’IA tout au long du processus créatif”. La spécificité de Golaem, c’est la diversité morphologique et comportementale des personnages même au sein d’une très grande foule, comme le prouvait les démonstrations vidéo. Au-delà de l’audiovisuel, les outils Golaem sont utilisés dans le monde de l’art, notamment pour créer des installations “capables d’interactivité”. À noter que les outils sont gratuits pour les étudiants et écoles d’art.
La prochaine Technoférence se tiendra le 22 mars sur le thème des jumeaux numériques, on l’espère en présentiel.