Publié le 04/06/2021
Le numérique responsable est un engagement fort de l’alliance des pôles de compétitivité Images & Réseaux et TES. Si bien que la 36ème Technoférence venait à point pour dessiner les contours du sujet. Qu’est ce que le numérique responsable ? Quels enjeux écologiques et sociétaux ? Quelles réponses technologiques ? Quelle place pour le citoyen ? La conférence en ligne du 3 juin agitait des questionnements de première importance, dont suit un aperçu et que l’on peut retrouver en replay.
Pour lancer la matinée, Annie Blandin-Obernesser s’attelait à définir le numérique responsable. Selon la professeure à l’IMT Atlantique, celui-ci est constitué de deux piliers. Le numérique responsable est à la fois “un numérique sobre, qui maîtrise sa propre empreinte négative” et “un numérique au service de la transition environnementale”. Puis à ces deux piliers, elle ajoute une dimension sociétale car le numérique responsable est aussi inclusif, participatif, éthique et “au service de l’intérêt général”.
Le défi est de réussir une convergence des transitions numérique et environnementale. Ce qui peut paraitre paradoxal alors que l’innovation numérique est souvent associée à la croissance économique tandis que la transition environnementale penche du côté de la décroissance. La convergence est donc au centre de ces deux tensions. Elle ne doit pas se limiter à une compensation des impacts négatifs du numérique : “Il faut donner du sens à l’innovation.”
Le premier enjeu est la maîtrise de l’impact environnemental du numérique. “C’est un impact massif et qui augmente. Nombreux sont ceux qui disent qu’il n’est pas soutenable.” L’intervenante met en garde contre “la culpabilisation de l’usager” alors que les premières consommations de matières et d’énergie sont en amont dans la construction des équipements, la fabrication des terminaux, la mise en place des infrastructures… La sobriété de l’innovation numérique passe par l’évaluation des impacts avant de “se concentrer sur la conception”. Parmi les points de vigilance, un sujet se détache : “la lutte contre l’obsolescence programmée”. Et puis il y a la question de l’effet rebond : Une technologie plus économe induit souvent des usages nouveaux “dont on ne connait pas à l’avance les impacts”.
Le deuxième enjeu est de “faire du numérique un levier de la transition écologique et solidaire”. Parmi les pistes évoquées : mobiliser les technologies numériques autour de des projets sur l’innovation durable, créer une intelligence artificielle européenne responsable… Avec en complément un troisième enjeu : l’ouverture des données environnementales, au sens large (comme par exemple les données sur la mobilité). “Aujourd’hui, ce qui se joue c’est la généralisation de l’accès à ces données.”
À suivre, Pierre Jannin, Conseiller au numérique et l’innovation au sein du conseil municipal de Rennes, faisait un bilan de la Mission 5G mise en place par la ville. Il s’agit d’une démarche de participation citoyenne mixte (des habitants et des élus) pour “éclairer le débat public et donner un avis sur les conditions de déploiement du réseau 5G à Rennes”. Pierre Jannin en est l’animateur. Il revendique une approche du sujet à 360 degrés : économie, énergie, environnement, social, santé, cadre de vie… “Il ne faut pas hésiter à aller à la confrontation car il faut savoir tout entendre.”
Puis il met en avant la méthode. Car il est essentiel de “faire attention aux biais”, ce qui réclame d’agir avec “rigueur et transparence”. Habitants et élus ont suivi des réunions d’information techniques avant de travailler en ateliers thématiques, le tout avec l’aide d’experts de différents horizons. L’objectif étant de faire des membres de la mission “des citoyens éclairés”, capables de faire la balance entre les avantages et les inconvénients de la 5G puis d’émettre des propositions. Un outil en ligne permet de suivre ce qui a été mis en œuvre. Pour le conseiller municipal, le débat est “un signe de maturité de la société” dans la mesure où la participation citoyenne est active et qu’elle participe à “faire naitre de l’intelligence collective”.
Si le débat d’aujourd’hui se focalise sur la 5G, les opérateurs, eux, travaillent déjà au coup d’après. Car “construire une technologie mobile, ça prend une dizaine d’années” explique Éric Hardouin. Celui-ci est Directeur de recherche du domaine Connectivité Ambiante chez Orange. Il expose les difficultés qu’il y a à définir la 6G “pour l’essentiel dans les 2 ans qui viennent” en vue de répondre aux enjeux sociétaux de 2030 et au-delà. Ce qui amène l’opérateur à imaginer “les enjeux sociétaux attendus en 2035”. Parmi lesquels sont déjà identifiés la responsabilité environnementale, l’inclusion et l’accès à la technologie, la production et la consommation d’énergie soutenables, le travail et l’enseignement à distance, la résilience à des crises massives… Et puis, la santé, la sécurité, la souveraineté. Bref, des thématiques qui relèvent du numérique responsable : “La 6G devra satisfaire des exigences sociétales à considérer avec la même importance que les exigences de performance.”
Cette orientation est nouvelle, car jusqu’alors on définissait les réseaux à partir “des besoins des verticales”, donc surtout des professionnels. Tandis qu’aujourd’hui : “Un dialogue avec la société dans son ensemble est nécessaire tout au long du développement des futures technologies pour informer et collecter des retours.” Il s’agit aussi d’éviter que ne circulent des fake news. Parmi les points à surveiller, Éric Hardouin cite “l’impact environnemental de bout en bout, non seulement en cours de fonctionnement mais aussi lors de la fabrication”. Aussi, “l’impact des champs électromagnétiques générés” auquel le grand public est particulièrement sensible. Mais comment établir le dialogue avec la société ? “C’est quelque chose qu’il reste à imaginer” concède l’intervenant.
À suivre, Brieuc Saffré, Président de Circulab, défend l’idée qu’il faut penser d’emblée conception circulaire. Parce que lorsqu’on réfléchit au design d’un produit ou service, on se focalise trop souvent sur l’utilisation au détriment d’autres aspects comme “la fabrication, mais aussi le recyclage”. Nous avons vécu sur un modèle d’abondance de l’énergie et des matières premières. Mais cet âge d’or est en train de prendre fin : “D’ici 2030, il y aura une baisse de 10 à 20% de la disponibilité des matières premières en Europe, et il faut en tenir compte dès maintenant.” Le début du projet est crucial : “La phase de design détermine 80% des impacts environnementaux.”
L’idée première est de partir des “besoins fondamentaux” des utilisateurs et d’éviter de créer des besoins qui ne sont pas pertinents. Nos habitudes de consommation sont devenues délirantes. Pour preuve : “On compte dans le monde plus de smartphones que de brosse à dents”. Ce alors qu’aucune des matières premières qui entrent dans la composition d’un smartphone n’est recyclée. Et puis : “Est-ce bien raisonnable de changer de smartphone à chaque nouvelle génération de réseau mobile ?”
En conséquence, Brieuc Saffré préconise d’étendre l’effort de conception au design pour favoriser la sobriété des comportements, au design pour prolonger la durée de vie et réparer, au design pour réutiliser tout ou partie du produit…
Le numérique responsable, c’est aussi développer des outils et services qui permettent d’anticiper, de mesurer et de réduire les impacts environnementaux. La Technoférence se terminait pas deux exemples.
Le premier est un projet d’entreprise. Quintech, présenté par Justine Bonnot, vise à optimiser les logiciels des systèmes embarqués. Par exemple, une voiture standard embarque aujourd’hui plus de “100 millions de lignes de code”, ce qui incite à s’équiper de calculateurs toujours plus puissants. L’objectif de Quintech est d’aider l’industriel à optimiser le code pour diminuer la consommation énergétique du système embarqué. Notamment grâce à une méthode, appelée “Approximate Computing”, qui vise à simplifier les calculs dès lors qu’une marge d’erreur est tolérable.
Le deuxième est une startup issue du projet collaboratif Code Vert. Greenspector, présentée par son fondateur, Thierry Leboucq, développe des expertises et solutions pour mesurer, analyser et améliorer les services numériques et réduire leurs impacts environnementaux. La startup emploie une quinzaine d’ingénieurs consultants et experts numériques responsables. Elle compte une cinquantaine de clients et plus de 2000 applications mesurées.
Deux informations pour terminer. Le prix Corinne Erhel “Green Tech For Good” qui récompense l’innovation numérique responsable sera remis le 10 juillet à Perros-Guirec dans le cadre du Summit4Good. Par ailleurs, l’alliance Images & Réseaux – TES a rejoint l’initiative Planet Tech’Care dont elle est un ambassadeur.