Publié le 07/12/2020
L’intelligence artificielle fait recette. Plus de 100 participants étaient connectés le 03 décembre à la 34ème Technoférence sur l’utilisation de l’IA dans les réseaux de télécommunication. On y parlait de network management, de monitoring, de détection d’intrusion… Et aussi de frugalité, car l’avenir est à une intelligence artificielle moins gourmande en ressources et en énergie.
Les technoférences sont destinées à créer du lien autour d’un sujet et susciter des idées de projets collaboratifs. À en juger par le nombre des participants et la qualité des échanges, cette 34ème édition a parfaitement rempli son rôle. Intitulée “Embarquement pour l’IA : porte Réseaux”, l’événement du 3 décembre était organisé par le pôle Images & Réseaux associé au pôle TES, et se tenait cette fois encore en ligne. Suit un aperçu des 2 heures de présentations et d’échanges, tandis qu’un lien en fin d’article permet de revivre l’événement dans son intégralité.
Sandrine Vaton de l’IMT Atlantique commence par un état des lieux sur le management des réseaux par l’apprentissage automatique. Où l’on apprend que, pour l’instant, “la gestion des réseaux est centrée sur l’humain”. Aujourd’hui, c’est l’homme qui surveille le bon fonctionnement d’un réseau, analyse les problèmes lorsqu’ils surviennent, prend des décisions pour garantir la continuité du service… Ce qui est très complexe “puisqu’il faut prendre en compte une grande diversité d’applications, d’équipements, de protocoles et d’attaques”. Tandis que les exigences ne cessent d’augmenter en termes de disponibilité, de débit, de faible latence, de connectivité massive…
À terme, “Un rêve est en train de devenir réalité”, les réseaux seront autonomes grâce aux algorithmes d’intelligence artificielle. Ce n’est pas pour tout de suite mais “on est à un tournant”, estime l’intervenante. Elle parle aussi de “changement de paradigme” avec l’essor des réseaux définis par logiciel (SDN) et les progrès récents en apprentissage automatique. Mais les questions à trancher restent nombreuses : Quelle est l’étendue et la nature des données à collecter ? Doit-on surveiller le réseau de bout en bout ? Peut-on faire confiance à une IA pour manager le réseau ? Parmi les multiples techniques d’IA existantes, lesquelles utiliser pour analyser les données, pour faire de la prédiction, pour contrôler le réseau ?
Le parcours vers les réseaux autonomes sera assurément long et “semé d’embûches”. Car les données sont hétérogènes et complexes, si bien qu’il est difficile de disposer de jeux de données pertinents pour entrainer les algorithmes. Les clés du succès : il faut “rester modestes“, privilégier “une approche à petits pas” et “combiner la connaissance en intelligence artificielle avec l’expertise métier” souligne Sandrine Vaton en conclusion.
Cette approche à petits pas est parfaitement illustrée par Stéphane Gosselin, d’Orange Labs, qui détaille quelques cas d’usage. Auparavant, il situe les enjeux liés à l’intelligence artificielle du point de vue de l’opérateur. Potentiellement, les IA sont partout : pour décrire l’état du réseau (observer des tendances, détecter des dérives), pour comprendre ce qu’il se passe (établir une corrélation entre les indicateurs et identifier les causes), pour prévoir les événements (anticiper une congestion), pour agir grâce aux connaissances acquises. Sur ce dernier point, la prise de décision, l’intervenant prévient “nous en sommes encore loin”. Il reste que, face à la complexité croissante des réseaux : “L’intelligence artificielle est un gros enjeu de transformation des opérateurs.”
Suivent trois cas concrets chez Orange. Premier problème : l’opérateur doit pouvoir classifier le trafic même lorsqu’il est chiffré, ceci pour adapter au mieux le service en fonction de l’application. Une solution IA basée sur un réseau neuronal convolutif permet de classifier 95% du trafic quels que soient les protocoles utilisés. Deuxième exemple : la classification des alarmes. Quand un incident survient sur un élément d’un réseau optique, s’en suivent de multiples alarmes en cascade qui sont difficiles à analyser. Une solution IA basée sur des algorithmes usuels de clustering divise par 6 en moyenne le nombre des alarmes à traiter par les opérationnels. Dernier exemple, la réduction de l’incertitude sur les paramètres optiques. Pour optimiser les ressources d’un réseau optique, il faut pouvoir calculer la qualité effective de transmission avec précision. Ce que ne permettent pas toujours les équipements. La solution IA mise en place, basée sur l’optimisation bayésienne, permet de réduire l’incertitude sur le facteur de bruit des amplificateurs et les pertes optiques et ainsi configurer le réseau en conséquence.
On le voit, l’intelligence artificielle intervient surtout pour améliorer la connaissance du réseau et en appui à la décision des équipes. Chez Orange, son intégration est progressive “avec une approche Test & Learn”. Certains cas d’usage sont déjà déployés ou en voie de l’être.
On poursuit les utilisations possible de l’intelligence artificielle avec la détection d’intrusions. Frédéric Majorczyk, de la DGA, livre un ensemble de réflexions sur le sujet. L’objet à défendre est un système d’information avec des logs, des paquets réseau, des alertes issues de sondes de détection d’intrusion, l’objectif étant de détecter les violations de la politique de sécurité. Principal problème : la difficulté à disposer de données pertinentes. Les données privées sont souvent non labellisées et non partageables. Tandis que les jeux de données publiques disponibles sont peu représentatifs ou de mauvaise qualité. D’où les approches préconisées : utiliser la structure intrinsèque des données brutes, travailler simultanément sur des logs de natures différentes. Et surtout : “Il faut mettre l’humain dans la boucle des modèles.”
Tout autre sujet, le network monitoring, avec Alexandre Dimitriou, data scientist chez Expandium. Cette société est spécialisée dans la supervision de réseaux de téléphonie mobile, dont ceux dédiés au ferroviaire. La supervision est basée sur l’observation du réseau par des sondes passives. Le problème, c’est que ces sondes remontent beaucoup d’informations au fil de l’eau, qu’il est utile de filtrer pour faciliter la tâche des superviseurs. “L’idée, c’est d’aider les équipes à mettre le doigt sur le problème sans avoir à éplucher des milliers de séries temporelles.” L’outil d’intelligence artificielle développé par la société nantaise s’appelle NEMOwAI. Selon le data scientist : “Il apporte une vraie compréhension à l’utilisateur, mais il ne détient pas LA vérité.”
Changement de point de vue, pour terminer, avec une présentation passionnante. Laurent Cario, de l’Institut des matériaux Jean Rouxel et Directeur de recherche CNRS, présente les travaux de son équipe sur l’implémentation matérielle de neurones artificiels. Celui-ci commence par présenter l’image d’un serpent, animal que l’on identifie au premier coup d’œil. Tout comme une souris sait le faire, mais aussi un ordinateur grâce à l’intelligence artificielle. Sauf que la puissance mobilisée est sans commune mesure : “Environ 3 watts dans le cas de la souris, alors qu’il faut quelques dizaines de kilowatts dans le cas de l’ordinateur.” Le cerveau de la souris avec ses neurones interconnectés est beaucoup plus efficace, donc beaucoup plus économe en énergie, que les échanges entre mémoire et CPU d’un calculateur. D’où cette conclusion : “Il faut se diriger vers des réseaux de neurones bio-inspirés.”
L’approche présentée consiste à créer un neurone artificiel mono-composant ayant les trois fonctions de base du neurone – Leaky, Integrate and Fire – que l’on désigne par modèle LIF. Pour réaliser “un analogue électrique” d’un neurone, l’électronique basée sur les métaux et semi-conducteurs ne convient pas : “Il faut utiliser des nouveaux matériaux, une nouvelle physique.” L’équipe de recherche multidisciplinaire s’est intéressée aux isolants de Mott pour réaliser “une transition de Mott électrique” grâce à “des pulses électriques courts et intenses”. Travaux couronnés de succès puisque cette équipe a réalisé “le premier dispositif neurone artificiel à partir d’une isolant de Mott”. La même technique peut aussi déboucher sur d’autres applications “mottroniques” comme la réalisation de mémoires et de synapses artificiels. Leur intérêt comparé à l’électronique traditionnelle : “Le gain énergétique est énorme, de l’ordre d’un facteur 100.” L’ensemble ouvre des perspectives intéressantes également en terme de latence et se prolonge aujourd’hui par des travaux de valorisation dont le pôle Images & réseaux ne manquera pas de relayer.
Illustration principale de l’article extraite de la présentation de Stéphane Gosselin, Orange Labs.