Publié le 13/12/2021
La Technoférence #38 avait pour objectif d’éclairer les bases des technologies quantiques en vue de former une communauté sur le sujet. Et les présentations et débats ont plus que confirmé ce besoin : une révolution quantique est en cours ; elle n’en est qu’aux balbutiements mais la compétition est lancée ; notre territoire bénéficie d’atouts de premier ordre ; il devient urgent de se structurer sur les plans de la recherche, de la formation et du développement industriel ; le Plan Quantique est une opportunité pour amorcer le mouvement.
Il s’est passé quelque chose de singulier ce jeudi 6 décembre. L’envie de faire communauté autour des technologies quantiques est apparue de plus en plus palpable au fur et à mesure des échanges de la matinée et au travers des contributions au chat. Parce qu’une somme d’initiatives “chacun dans son coin” ne constitue pas une réponse. Parce que la complexité du sujet nécessite une démarche multidisciplinaire, coordonnée et planifiée. Parce que la rupture technologique qui s’annonce est telle qu’il ne faut pas tarder à agir sous peine de rester au bord du chemin.
C’était tout le mérite de la 38ème Technoférence que de poser la première pierre d’une démarche collective. Son intitulé Technologies quantiques : le graal numérique était complété par une volonté : Fédérer et consolider nos forces dans l’Ouest. L’événement était organisé comme à l’habitude par L’alliance numérique du Grand Ouest constituée des pôles de compétitivité Images & Réseaux et TES. Cette fois en partenariat avec Photonics Bretagne et le soutien de ENSTA Bretagne.
Le sujet du jour étant complexe par nature, l’introduction didactique de David Menga était tout à fait bienvenue. L’ingénieur chercheur à l’EDF Lab Saclay commence par les fondamentaux. C’est d’abord la superposition quantique, qui est “la capacité contre-intuitive d’un objet quantique à exister simultanément dans plusieurs états”. C’est ensuite l’intrication quantique qui impose que “l’état de deux objets quantiques doit être décrit globalement”, car ils forment un système lié quelle que soit la distance qui les sépare. C’est enfin le qubit qui est “la plus petite unité de stockage en informatique quantique”. Un qubit est composé de la superposition de deux états de base, que l’on peut produire par différentes technologies : supraconducteurs, ions piégés, spin d’électrons piégés, atomes froids, mais aussi cavités diamant et photons notamment. Les technologies optiques présentent l’avantage de permettre de “travailler à température ambiante” quand d’autres approches imposent des températures très basses afin de “maintenir la cohérence des états assez longtemps pour que les calculs puissent aller à leur terme”.
Pour l’instant, peu d’applications. Mais David Menga voit dans le Consumer Electronic Show de 2019 “un top départ” avec les annonces d’IBM sur le calcul quantique. “Nous sommes entrés dans un moment Spoutnik” énonce-t-il. C’est-à-dire : “Un temps où tout change, où tout va s’accélérer.” Puis l’intervenant en vient à la stratégie d’EDF. “Nous sommes dans une veille active et dans les POC”, les preuves de concept, car “le domaine peut révolutionner complètement notre économie”. Parmi les cas d’usage étudiés, le Smart Charging, la charge intelligente des véhicules électriques. À terme, le défi est d’assurer la charge de millions de véhicules depuis quelques dizaines de milliers de points de charge tout en évitant les pointes de consommation : “Il faut utiliser le bon point de recharge au bon moment pour ne pas surcharger la grille.” Des algorithmes quantiques d’optimisation combinatoire donnent “des premiers résultats encourageants”. Pour autant, une question reste ouverte : “Les approches quantiques passeront-elles à l’échelle ?”. Pour EDF, la réponse viendra nécessairement de la R&D collaborative entre tous les acteurs.
Après le calcul quantique, place à d’autres applications prometteuses des technologies quantiques dans lesquelles la photonique joue un rôle de technologie clé. Avec d’abord une application aux capteurs quantiques, présentée par Yannick Dumeige de l’Institut Foton. L’enseignant-chercheur participe au projet e-DIAMANT qui s’intéresse au précieux matériau pour ses propriétés exceptionnelles. En particulier, l’exploitation d’un défaut ponctuel présent dans la structure cristalline du diamant : le centre NV. Celui-ci est caractérisé par “d’excellentes propriétés optiques à température ambiante” qui en font un bon candidat pour des applications d’information quantique, de communication quantique et de capteurs quantiques. Le projet se focalise sur ce dernier point en exploitant la sensibilité des centres NV à leur environnement. Cette propriété ouvre de nouvelles voies en magnétométrie, thermométrie, mesures de champs électriques, captures de mouvements ou encore l’analyse spectrale de champs électromagnétiques.
Puis c’est au tour d’Erwan Pincemin, ingénieur R&D chez Orange, de présenter les travaux de l’opérateur en matière de télécommunications quantiques. Notamment ceux liés à la Déclaration EuroQCI qui vise à sécuriser les communications entre les infrastructures critiques et les institutions de l’Union européenne grâce à des technologies et systèmes quantiques. La première brique à développer est un service QKD (Quantum Key Distribution) de distribution de clés de chiffrement via des canaux de communication quantiques. Idéalement, l’opérateur souhaite utiliser les infrastructures optiques existantes pour transporter les clés quantiques. Ce qui pose problème sur les réseaux longue distance du fait de l’affaiblissement du signal optique et de l’utilisation d’amplificateurs pour y pallier. D’où l’utilisation de liaisons satellites pour les liaisons supérieures à 100 km. L’ingénieur évoque un autre sujet prometteur, “les fibres à corps creux”, qui ont pour avantage de limiter les effets non linéaires. “Ce pourrait être une idée de collaboration” avance-t-il. Plusieurs projets collaboratifs et internes sont en cours alors que les technologies quantiques apparaissent clairement comme étant “une opportunité pour les telcos comme Orange”.
Suivait une table ronde, animée par Catherine Collange de l’Inria Rennes-Bretagne Atlantique, dont voici quelques points saillants. Tout d’abord, l’intérêt pour les technologies quantiques des spécialistes réunis pour l’occasion est très diversifiée et souvent le résultat d’une démarche personnelle. Ainsi Arnaud Coathanay de l’ENSTA raconte qu’il “n’avait pas prévu de faire du quantique” mais que suite à des publications sur les performances du radar quantique, il s’est dit “qu’il fallait y aller”. Même chose pour Yann Allain, entrepreneur indépendant touche-à-tout et maker, qui affirme être “tombé dans le quantique par hasard” avant tout avec des visées pédagogiques. Pour Gilles Burel, de l’UBO-LabSTICC, l’approche est algorithmique. Sachant “qu’on ne peut pas copier un état quantique”, il cherche à utiliser l’intrication quantique pour réaliser “un équivalent de la redondance”. Quant à Gildas Meunier de l’Université Bretagne Sud, constatant que la programmation quantique est “très compliquée” et “peu intuitive” il s’intéresse à “trouver un langage de haut niveau” qui permettrait de s’abstraire de la complexité des concepts quantiques.
Autre point à retenir, tous les participants s’accordent sur le fait qu’il n’est pas évident d’imaginer un parcours de formation accessible à des étudiants ou professionnels. Ainsi Gilles Burel prévient : “Actuellement, on ne peut pas faire abstraction du matériel et c’est vrai pour encore quelques années… J’avoue que je n’ai pas moi-même toutes les compétences. On aurait intérêt à se regrouper pour donner une vision d’ensemble.” Yann Allain va dans le même sens lorsqu’il dit qu’on ne peut pas aborder le quantique “sans une vision sur ce qu’il se passe au niveau physique”. Gildas Menier se demande si pour aborder des notions avancées de physique, de mathématiques et d’algorithmique, il faut jouer sur l’interdisciplinarité ou plutôt “faire intervenir quelqu’un qui lui-même aurait une vue d’ensemble”. Attention toutefois à ne pas rebuter les étudiants si le parcours d’enseignement paraît trop ardu. Arnaud Coatanhay parle lui d’un “club d’informatique quantique” qui avait permis d’être efficace avec des étudiants volontaires “hors du cursus officiel”. Rémi Geiger, de la startup WAINVAM-E, intervenant via le chat, insiste sur l’utilité des travaux pratiques pour appréhender les concepts essentiels : “C’est possible désormais avec des solutions à base de capteurs à centres NV du diamant.”
Si la question de la formation a mis en évidence le caractère multidisciplinaire des technologies quantiques, les participants de la table ronde étaient également unanimes sur l’urgence à regrouper et structurer nos forces dans l’Ouest. Yann Allain commence par un constat : “Lorsqu’on a monté cette table ronde, on s’est aperçu qu’on travaillait tous sur le domaine mais qu’on ne se connaissait pas. On pourrait lancer en commun l’équivalent de la filière cyber qui elle est très très organisée.” Il faut donc agir, et vite, car remarque Gilles Burel : “Nous avons beaucoup de retard par rapport à d’autres régions.” Une vision que Rémi Geiger tempère, à nouveau par chat : ” En retard, pas forcément. En tout cas sur le plan industriel grâce à la filière photonique et des startups comme Cailabs, WAINVAM-E. Dans le jargon, les “enabling technologies” sont sur le territoire et donc avec des emplois.”
Mais comment lancer la structuration d’un Hub quantique ? Aude Ollivier-Cadoret et Hervé Saliou, d’Images & Réseaux, suggèrent que les pôles de compétitivité servent de point de contact en vue de “monter un groupe de travail”. L’invitation à prendre contact s’adresse à tous les acteurs du territoire intéressés par les technologies quantiques : laboratoires, écoles d’ingénieurs, PME, startups, industriels…
La Technoférence se poursuivait par trois exemples de développements en cours. Ainsi Olivier Hess présentait l’approche d’ATOS qui anticipe le moment où les ordinateurs quantiques seront opérationnels. Dans cette optique, le groupe a mis au point un outil de simulation qui présente l’avantage d’être indépendant du hardware utilisé pour produire les qubits. La solution ATOS myQLM permet dès maintenant de s’initier aux principes de la programmation quantique pour les chercheurs, étudiants et développeurs.
Ensuite Audrey Lucas de Tekalis, spécialiste du stockage de données et de la cryptographie, expliquait pourquoi il faut absolument se préparer à l’arrivée du quantum computing car il est possible de récupérer aujourd’hui des données protégées qui pourront être décodées demain “quand le déchiffrage quantique sera là”. L’idée est de renforcer dès maintenant le chiffrement par l’étude de technologies quantiques et la génération de clés parfaitement aléatoires pour aller vers des techniques de cryptographie post-quantique dites “quantum-resistant by design”.
Puis c’était au tour d’Ilies Zaoui, de Conscience Robotics, d’exposer les études en cours sur les algorithmes génétiques. Ce sont des algorithmes d’intelligence artificielle qui permettent à un robot de se déplacer avec précision et d’interagir avec des objets ou des entités de l’environnement. Sauf qu’aujourd’hui, les délais de réponse des algorithmes constituent un point de blocage. La solution recherchée consiste à transposer l’IA sur des qubits pour atteindre du “quasi temps réel”, et construire ainsi “une solution à tout scénario impliquant un déplacement et une interaction d’un robot avec son environnement”.
Pour conclure la matinée, la parole revenait à Neil Abroug, Coordinateur national pour la stratégie quantique. Le plan mis en place couvre “les sujets relatifs à la recherche, au développement des technologies, au soutien des industriels et au soutien des startups”. Il concerne toute la chaîne de valeur, donc “tout ce dont on a parlé aujourd’hui” mais aussi les domaines qui contribuent au développement des technologies quantiques comme “la cryogénie, les lasers ou l’électronique bas-bruit”.
Plusieurs annonces et appels à projet sont en préparation prioritairement sur “les qubits à l’état solide” et “la cryptographie post-quantique”. Une autre urgence étant la formation. “Aujourd’hui les entreprises et startups nous expriment un souci de formation complémentaire qu’elles doivent prendre à leur charge… J’encourage très fortement les établissements d’enseignements et les universités à se positionner sur un prochain appel à manifestation d’intérêt pour former les prochaines générations d’ingénieurs et de techniciens du quantique” déclare Neil Abroug.
Les pôles Images & Réseaux et TES se feront naturellement le relais de ces AAP et AMI à venir.